Interview de Georges Kern

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Interview with Georges Kern - Breitling
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Le rédacteur en chef de GMT s'est entretenu avec le CEO de Breitling.

Pourquoi quitter Baselworld en 2020?
Comme je l’ai déjà exprimé, nous avons été très sensibles à la volonté et aux actions entreprises par la nouvelle équipe et direction de Baselworld pour insuffler une nouvelle dynamique à la foire. L’élément décisif de la non présence de Breitling en 2020 à Baselworld est lié au timing qui n’a pas répondu à nos besoins. Le lancement de nos produits a lieu en janvier, donc le calendrier de Baselworld, bien que désormais concordant avec celui du SIHH, intervient trop tard dans l’année.

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Quant au format, nous avons mis sur pied ce que nous appelons des « Summits », des grandes présentations à travers le monde réunissant des centaines de personnes. L’objectif ultime : leur faire vivre l’expérience Breitling. C’est ce format que nous allons conduire à l’avenir.

Pour la suite, nous déciderons ultérieurement de notre retour ou non à Bâle à partir de 2021.

Il n’y a peut-être pas besoin d’un stand, mais de la dimension humaine quand même ?
Oui, bien sûr, c’est bien de dimension humaine, de proximité et de liens dont nous parlons ici. Notre Summit est au cœur même de cette dimension humaine. Nous pourrions imaginer que notre Summit européen se tienne à Bâle, tout en conservant nos autres conventions à travers le monde pour rester proche des gens. Tous les journalistes ne se déplacent pas à Bâle et le fait d’être dans leur pays leur donne aussi le sentiment qu’on s’intéresse à eux, qu’on prend du temps pour et avec eux.

En même temps, sur l’édition 2019, le grand gagnant au niveau des exposants en termes de visibilité, c’était Breitling !
Oui, en effet. Notre stand étant parfaitement centré au bout de la Halle, nous avons bénéficié d’une très grande visibilité et ce dès l’entrée de la Foire.

D’ailleurs, la visibilité de Breitling a gagné bien au-delà de la Foire ?
Oui, c’est vrai qu’il y a un engouement pour Breitling qui est incroyable. On a des produits qui correspondent à notre identité, à nos valeurs et à nos territoires – Air, Land, Sea. Sur les réseaux sociaux, l’enthousiasme est palpable. Nos collaborations avec Norton, Bentley ou notre squad member, Bertrand Piccard et sa mission Orbiter 3, construisent un storytelling authentique qui fonctionne très bien. Nos éditions limitées en lien avec l’histoire de l’aviation civile ou encore la nouvelle Superocean répondent à des clients différents, tout en restant dans l’esprit Breitling. Tout fait sens et tout a un lien, de nos boutiques à l’atmosphère lounge, à nos partenariats, à nos squads et nos montres. On ressent et on vit ce qu’est Breitling.

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Mais est-ce que cette formulation claire et nette est susceptible de s’adapter rapidement si la philosophie de la maison veut évoluer avec le temps ?
Je pense que le cadre est fixé, nos univers, nos éléments aussi. Ensuite, il faut toujours conserver une part de flexibilité et d’adaptabilité.

Notre premier élément, c’est Air/Land/Sea. Nous réinvestissons les segments dans lesquels Breitling a toujours été présent. À l’instar des publicités des années 60, qui sont aujourd’hui redesignées avec les mêmes produits, presque 60 ans plus tard.

Le second, c’est notre approche décontractée, moins formelle et plus anticonformiste, qui s’exprime dans des partenariats, comme celui avec Kelly Slater, le surf ou les motos, qui sont porteurs de cet esprit jeune.

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Le troisième, le moderne-rétro. Avec un parti pris sur du vintage qui n’est pas démodé ou poussiéreux, garder les codes de la pièce en l’inscrivant dans son temps, tout simplement. On a beaucoup de succès avec ces pièces. D’ailleurs, nous venons de lancer un nouveau concept, « Capsule Collection », qui nous permet de raconter des histoires comme avec Pan Am, Swiss Air et TWA. Des collections instantanées qui racontent une des histoires de l’aventure Breitling. Cela permet aussi de ne pas surcharger les détaillants avec des pièces qui font partie de la collection à long terme.

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Un mot sur la prochaine « Capsule Collection » ?
La capsule collection de cet automne sera complètement différente. Nous avons tellement de thèmes et d’histoires à raconter que la liste de nos idées est infinie. Par ailleurs, nous avons la chance de travailler avec le plus grand collectionneur de Breitling, qui nous guide et aide beaucoup dans ces choix. Ses goûts éclectiques et la richesse de sa collection sont une source d’inspiration permanente.

Il travaille pour Breitling ?
Non, Fred Mandelbaum est un entrepreneur qui collectionne des montres, dont près de 80% de montres Breitling. C’est lui qui nous a également aidés pour la réédition Navitimer 806. On a besoin de spécialistes pour retrouver cette communauté de collectionneurs qu’on avait perdue. Tous ceux qui aiment les modèles des années 40, 50, 60, on les avait perdus. Là on les regagne. Le feedback est incroyable.

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Pourquoi les aviez-vous perdus ?
Parce que Breitling, ça n’est pas que l’aviation et des montres XXL. Tout un pan de l’histoire de Breitling avait été mis en dormance – du début du siècle dernier jusqu’aux années 90. Nous avons perdu les gens parce qu’ils rêvaient d’autre chose. Alors que, historiquement, nous avons tout à fait cette richesse, cette diversité qui fait rêver. Quand on regarde l’histoire et les archives, les designs sont superbes.

Allez-vous vous réapproprier le marché de l’occasion de Breitling ?
C’est plus complexe que cela. Il y a trois marchés de l’occasion complètement différents les uns des autres. Et, par ailleurs, avec le digital d’aujourd’hui, le marché de l’occasion est devenu totalement transparent.

Tout d’abord, il y a le marché parallèle qui provient des détaillants qui ont accumulé des stocks de pièces invendues, qui sont devenues hors collection. Donc, pour que le réseau soit sain, il faut reprendre le stock, les invendus, les pièces « out of collection », d’autant plus dans un contexte de transformation dans lequel Breitling se trouve.

Ensuite, les certified-pre-owned. Et là, on parle de quelque chose de différent, c’est-à-dire quelqu’un qui veut soit vendre sa pièce ou l’échanger contre un autre modèle donc faire « du trade-in ». Là aussi, il faut le faire bien à travers des partenaires pour certifier les produits. Si on ne certifie pas, le consommateur n’est pas sécurisé par rapport à l’authenticité de la pièce. L’idée c’est que Breitling, tout comme Mercedes le fait, puisse donner des garanties d’un an, sur les plateformes qui revendent ce type de montres.

Quand allez-vous prendre des initiatives ?
Nous les avons déjà prises !

Rachetez-vous les stocks d’invendus ?
Oui, bien sûr !

Et sur votre site ?
Non, pas directement sur notre site. Nous travaillons avec des magasins physiques, avec des sites spécialisés. Ce n’est pas notre rôle. Nous sommes là pour imaginer, créer et fabriquer des montres. Par contre, nous les soutenons. Le marché américain est très en avance par rapport au marché européen.

Votre stratégie annoncée de travailler avec des partenaires détaillants porte-t-elle ses fruits ? Est-ce que les détaillants se sentent en confiance et se disent « On va rester avec Breitling » ? Cela permet-il d’ouvrir des portes ?
Notre stratégie correspond à notre façon de voir le marché, de tisser des liens avec nos détaillants sur le long terme. La qualité du réseau de détaillants est globalement très bonne. D’ailleurs, 80% de nos boutiques sont gérées par des détaillants.

Est-ce qu’il y a une demande concrète des détaillants pour venir vers vous ?
Oui, parce qu’ils suivent ce qui se passent. Ils voient ce que nous faisons et que cela plaît. Alors forcément, ça attire l’attention.

Vous avez dit que le marché était porté à 50% par l’Asie et à 60% par les montres femmes. Est-ce toujours le cas ?
Ces chiffres correspondent toujours à la réalité. Notre objectif est donc aussi de renforcer le segment des montres femmes. À la fin des années 90, Breitling était très fort sur ce segment. C’est ce qui nous attend l’an prochain, nous y travaillons. Trouver un design différenciant, c’est le challenge.

Qu’est-ce qui explique le succès du vintage ou du moderne-rétro ? Et pensez-vous qu’il est en train d’acquérir une forme de pérennité dans le monde de l’horlogerie ? Est-ce la sécurité des 30 glorieuses ?
C’est un phénomène de société. Je pense qu’il y a un trop-plein de digital. Les gens veulent revenir vers des choses qu’ils comprennent. C’est pour cela, par exemple, que nous avons initié cette association avec les motos Norton. On peut s’identifier aussi à l’histoire de Pan Am, au film « Catch me if you can » avec Leonardo DiCaprio, c'est-à-dire le rêve et une réalité que l’on connaît d’antan. Ce moderne-rétro s’explique comme une sorte d’équilibre entre passé et futur, le culte des beaux objets ancrés dans un temps pas si lointain qui génère beaucoup d’émotions et cette fuite en avant vers l’innovation, le digital et les technologies. C’est de l’équilibre que naît la justesse.

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Est-ce aussi compris en Asie ? Car c’est quand même un concept très occidental.
Qu’est-ce que c’est la norme aujourd’hui ? Le marché japonais est très différent du marché chinois, qui lui-même s’avère très différent du marché de l'Asie du Sud-Est.

Il y a un changement qui s’opère dans tous ces marchés. En Chine, les Millennials ne veulent plus acheter la montre de leurs parents – des montres trois aiguilles, extra-plates, très classiques. À travers la globalisation, les médias et les réseaux sociaux, ils sont connectés aux tendances qui animent le monde et ils s’adaptent très rapidement. Le marché devient mondial et les concepts ou appartenances, sans frontières.

Donc vous n’aurez pas une collection dames avec une part de petites montres qui seront faites pour l’Asie ?
La taille de la montre, c’est autre chose, c’est ergonomique. La question qui est importante est le message de la marque. Les gens achètent une marque. Ils entrent dans l’esprit de la marque et se rallient à une communauté :  le monde des explorateurs, le style de vie des surfeurs, etc. Et, à ce moment-là, ils vont choisir le produit. Ce n’est pas le contraire. Ce n’est pas la taille de la montre qui va faire qu’une personne s’identifie à une marque. D’abord la communauté, ensuite le produit.

Aujourd’hui, il faut en déployer de l’énergie pour vendre des montres non ?
Bien sûr, le moteur de chaque projet c’est la passion, l’énergie qu’on lui dédie.

Il y a une image cool qui se dégage avec le surf, le lifestyle, qui s’adresse a priori plutôt aussi aux jeunes…
Oui, celles et ceux qui veulent affirmer cette âme jeune.

Mais justement, quelle serait la montre pour les jeunes ?
Elle peut autant être une Navitimer 806 « moderne-rétro » qu’une Superocean très colorée.

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La perception d’une montre « cool » n’est en rien liée à l’âge ou à l’époque représentée par le produit, mais à la manière dont elle est perçue à travers son histoire, sa communication. Par exemple, Norton, leurs premières motos ont été produites en 1902. Aujourd’hui, leurs modèles néo-rétro inspirent les gens : un produit qui a une histoire, un ancrage, des lignes du passé et des codes actuels, des valeurs, autour desquelles une communauté s’est créée.

Par rapport aux groupes horlogers, une maison autonome et indépendante a-t-elle des capacités de développement égales ? Les groupes ont une sécurité financière, une puissance…
Notre plus grand atout, c’est la vitesse et je crois que Breitling l’a déjà démontré. On peut être bien plus rapide et performant en étant indépendant, d’autant plus si on a des investisseurs qui croient en ce qui est fait.

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