Solution parfaite d’un monde imparfait

Image
A perfect solution in an imperfect world - Watchmaking schools
4 minutes read
La formation horlogère assurée en interne par les marques rencontre un grand succès. Elle n’en révèle pas moins les lacunes du système académique traditionnel, auquel elles se substituent en partie.

Parler d’école au beau milieu des vacances horlogères ? Quelle mauvaise idée ! Ne pouvait-on pas attendre la rentrée pour se replonger dans ses traités d’horlogerie ? Que le lecteur sur son transat se rassure : il n’est nullement question ici de théorie du couple ou de coefficient de viscosité...mais d’écoles de marques.

De prime abord, les deux termes sont incompatibles. L’école relève d’une mission publique d’enseignement. La marque, elle, poursuit des objectifs commerciaux individuels. Comment en est-on arrivé à concilier l’inconciliable ?

 

Entre obligation et devoir
Deux raisons dominent. La première relève du devoir. Les grandes maisons ont accumulé, au fil des siècles, des compétences qui leurs sont propres, des ‘tours de main’ que l’on exécute que dans leurs murs. Il en va donc de la survie de l’art horloger que de les apprendre elles-mêmes aux apprentis, du moins pour les techniques qui ne relèvent pas du secret de fabrique.

Ainsi seulement on maintient l’horlogerie à son plus haut niveau. Et les maisons qui partagent de la sorte leur héritage finissent toujours, tôt ou tard, par recruter un apprenti qui les mettra à sa disposition. En d’autres lieux, on aurait appelé cela le retour sur investissement.

La seconde raison est plus pragmatique. Il ne fait pas mystère que la formation académique ne fournit pas assez de diplômés pour alimenter l’industrie. Dès lors, quelle autre solution que de créer sa propre école et de former, soi-même, ses futurs salariés ?

C’est l’option retenue par plusieurs maisons : A. Lange & Söhne, Glashütte Original, Hermès, notamment. Leur objectif n’est pas de supplanter le cursus académique, mais de le compléter. Ces trois maisons ont également des spécificités très marquées : les deux premières sont l’essence de l’horlogerie allemande, la troisième associe des compétences horlogères à celle de son métier d’origine, sellier. Ainsi, dans les trois cas, les jeunes diplômés postulant à ces manufactures devront suivre une formation interne qui complètera leurs connaissances de base par des connaissances spécifiques à la maison qui les emploiera.

 

Apprenti à la Lange Watchmaking School

 

Le cas Glashütte
Toutefois, les deux manufactures allemandes affichent un autre but : le recrutement direct. « Il n’est pas évident de retenir les talents horlogers dans la bourgade de Glashütte, à l’est de l’ex-Allemagne de l’est », reconnaît l’une d’elle, à demi-mots. « Les hivers sont rudes, l’enseignement est intégralement en allemand et l’environnement immédiat, Dresde, n’est pas aussi attractif que Genève ». Dès lors, en se dotant de sa propre école, les manufactures de Glashütte acquièrent la quasi-certitude qu’à l’issue de leur cursus, les horlogers resteront chez elles.

Tino Bobe, Directeur du Développement chez A. Lange & Söhne, confirme le succès de l’entreprise : « Nous avons formé plus d’une centaine d’horlogers dans notre école, la Lange Watchmaking School, ouverte en 1997. Leur apprentissage est de trois ans. Depuis, la quasi-totalité des élèves est restée avec nous ».

Chez Glashütte Original, le schéma est similaire, le succès au rendez-vous. « Nous étions sur une base de 12 élèves et sommes à présent à 24, complétés de quatre futurs outilleurs », assure la manufacture. « La formation est de trois ans et les meilleurs élèves, mention Très bien et Excellent, ont la garantie d’un poste immédiat au sein du Swatch Group ».

 

Les montres de fin d’étude de l’école Glashütte Original

 

En France, Hermès fait de même sur ses métiers du cuir. La maison recrute principalement des talents issus de la prestigieuse Ecole Boudard de Montbéliard et poursuit leur formation en interne sur plusieurs années.

 

Vers une privatisation de l’enseignement ?
Au-delà de ce tableau idyllique, quelques questions émergent. La première porte sur le volume de diplômés issus du circuit académique. Il est insuffisant. C’est l’une des raisons de l’émergence de ces écoles privées.

Or, avec plus de moyens, le WOSTEP ou le DMA Horloger pourraient accueillir plus d’élèves. Si les moyens des manufactures, déployés pour leurs propres écoles, étaient en partie reroutés vers une aide à la formation publique, les effectifs pourraient probablement croître.

Ensuite, sur la qualité des enseignements, les manufactures pourraient verser une partie de leurs connaissances au tronc commun des matières horlogères académiques. Pourquoi ne pas créer un module « horlogerie allemande » dans le cursus traditionnel ? Un cours « métiers du bracelet » ?

Les professeurs actuels répondront qu’avec déjà près de 3000 heures de cours à dispenser en deux ans, on ne peut pas tout faire. C’est exact. Une année supplémentaire reste toutefois possible. Dans l’immédiat, on ne pourra reprocher aux manufactures une forme de privatisation de l’enseignement. Laquelle, indéniablement, préserve l’essence de l’art horloger.

 

Les ateliers Hermès

 

Marques