Interview de Jean-Paul Girardin

Image
Interview de Jean-Paul Girardin - Breitling
La marque en mains familiales a ciblé ses compétences industrielles pour renforcer son indépendance.

La marque en mains familiales a tout (re)construit sur son leadership historique dans le chronographe technique. Et en adaptant la structure au contexte industriel

Breitling, basée entre Granges (Soleure) et La Chaux-de-Fonds (avec une antenne à Genève-Meyrin), fait partie des rares marques indépendantes et globales. La maison a tout construit, dès le lancement par Léon Breitling en 1884, sur un positionnement clair et (presque) exclusif: le chronographe. Une spécialité qui a permis de surmonter plusieurs crises et de relancer complètement l'affaire sur les trente dernières années. Avec une accélération notable au cours de la dernière décennie, marquée en particulier par la mise au point de calibres (mouvement mécanique) manufacture. Une famille constituée sur le mode architecture ouverte (possibilité d'intégrer des fonctions sans module additionnel), dont il existe déjà quatre variantes.
Plusieurs dizaine de millions de francs ont été investis depuis 2004, avec nouveau bâtiment à La Chaux-de-Fonds (Breitling Chronométrie) et création d'une centaine de postes de travail (quelque 400 collaborateurs au total). Surtout une ligne de production industrielle parfaitement adaptée à l'objectif stratégique de la certification intégrale (la production maison est 100% certifiée COSC depuis 1999). De quoi soutenir la croissance et renforcer la crédibilité de la marque, qui se présente déjà en leader global dans sa spécialité (le chronographe).
Breitling est également connu pour la stabilité de sa structure. L'actionnariat n'a changé qu'une seule fois, passant de la famille Breitling à la famille Schneider, qui en détient la totalité. Le management est du même acabit: cinq dirigeants seulement en plus de 125 ans. Tous propriétaires, à l'exception de Jean- Paul Girardin, officiellement viceprésident, mais dans les faits directeur des opérations, entré chez Breitling il y a près de vingt ans. Théodore Schneider, représentant de la seconde génération de propriétaire de la marque, tenant la fonction de directeur général. Jean-Paul Girardin revient sur les paramètres de l'indépendance et l'importance de l'intégration des compétences industrielles.

 

Breitling_332965_0



Stéphane Gachet: Vous avez investit massivement dans l'outil de production au cours des cinq dernières années. Rappelez-nous le contexte?
Jean-Paul Girardin: Il y a près de dix ans, nous avons reçu et lu le courrier de Swatch Group remettant en question les livraisons d'ébauches. Si nous voulions rester indépendants, nous devions réagir. Le projet industriel a été lancé en 2004 et nous avons présenté notre premier mouvement à Bâle en 2009. Nous avons commencé par la constitution d'une équipe à Genève-Meyrin, focalisée sur toutes les compétences liées à la construction, PFIS (Professional flight instruments), renommé Breitling Technologies en 2006. Sur cette base, nous avons établi une seconde équipe dédiée à la production et basée à La Chauxde- Fonds, où nous possédions déjà une usine d'assemblage mouvements et d'emboîtage, Breitling Chronométrie.

En 2004, il s'agissait donc de réagir aux futures données de l'approvisionnement par Swatch Group (remplacement des mouvements en kit par des mouvements finis). Ce changement de régime était-il vraiment un problème?
Le flux n'est pas optimal si l'on est livré qu'en mouvements finis, mais nous aurions pu vivre avec. Le vrai problème est le manque de flexibilité qui accompagnait ce changement, en termes d'approvisionnement, également en termes d'innovation.

Pouvez-vous préciser?
Les livraisons étaient plafonnées par rapport aux commandes précédentes, pas seulement au niveau du volume global, aussi par famille de calibre. Nous avons eu raison de réagir, puisque les volumes sont aujourd'hui négociés à la baisse.

La question se pose maintenant avec les assortiments, dont les livraisons sont négociées à la baisse. Comment allez-vous répondre?
La fin de l'histoire est connue, mais pas l'agenda… Nous y travaillons et nous abordons le sujet de manière pragmatique en intégrant certaines compétences. Nous produisons par exemple déjà pour certains calibres notre propre balancier avant de l'assembler en interne par soudage au ressort spiral.

Vous disposez pour l'instant d'une capacité de production de quelque 50.000 mouvements maison par an, soit près du quart de votre production totale et près de la moitié du volume total de chronographes.
Qu'en est-il de l'utilisation de ces capacités?

Notre objectif était de pouvoir équiper la moitié de nos chronographes mécaniques en calibres maison. Nous utilisons près de 80% de nos capacités actuelles, soit près de 40% de nos chronographes mécaniques et un quart de la production totale. Nous suivons notre programme.

Vous avez déjà déclaré ne pas viser l'indépendance totale en matière de production.
Est-ce toujours le cas?

Notre approche est toujours la même. L'intégration des compétences est surtout pensée pour renforcer notre stratégie qualité et nous restons très pragmatiques: nous n'intégrons pas les métiers si nous avons pu identifier deux sources externes répondant à notre cahier des charges. Nous n'avons pas prévu non plus d'intégrer l'habillage (boîtes, cadrans, aiguilles).

L'histoire de Breitling a surtout été écrite sur le mode collaboration avec les producteurs externes. La solution de l'intégration était-elle la seule approche envisageable?
Il s'agissait de gagner des capacités pour assurer notre croissance, mais pas forcément de tout faire en interne. Nous avons analysé toutes les alternatives et nous avons rapidement compris que les centres de décisions devaient rester à l'interne: cahier des charges, timing, capacité de production et capacité d'innovation.

Ne s'agit-il pas aussi de vous positionner aussi en termes d'image, sur un mode manufacture très en vogue? Jouer la distinction par le mouvement?
Il y a deux aspects à considérer. Prioritairement, il s'agissait de développer une stratégie industrielle pour rester indépendant. C'est aussi un levier marketing significatif, dans le sens où le contrôle de la production donne accès à des performances plus élevées (la garantie sur les produits manufacture a d'ailleurs été relevée à cinq ans, contre deux ans sur les autres produits) et, une fois encore, renforce la capacité d'innover et de donner le sens de l'innovation.

Un levier sur les prix par la même occasion.
Le prix fait partie intégrante du cahier des charges et de la fidélisation de notre clientèle. Nous avons toujours tenu à ce que la valeur, la qualité et les performances d'un produit correspondent à son prix de vente. Nous avons augmenté nos prix sur les mouvements manufacture, mais sans trop sortir de notre segment. En introduisant les calibres maison dans nos modèles best-seller (Chronomat, Navitimer, Transocean), notre message est clairement resté celui de la stratégie industrielle et pas celui de la série limitée.

Breitling_332965_1



Cela explique-t-il pourquoi vous êtes resté concentré dans la spécialité des chronographes?
Le chronographe reste le ciblage le plus approprié. C'est historiquement le cas, depuis la création de la marque à sa relance dans les années 1950 et 1980. Cette spécialité n'a jamais été remise en question. Nous avons une image très forte sur ce marché et je ne crois pas qu'il soit possible d'être généraliste pour une marque indépendante comme la nôtre.

Vous avez présenté votre premier modèle manufacture en 2009.
Comment les marchés ont-ils réagi?

Quand vous possédez le savoir-faire, le faire savoir prend beaucoup de temps! Comme vous l'avez relevé, nous avons eu une augmentation de prix et il faut que les marchés la comprennent. Au final, on vend toujours des montres, pas des mouvements. Parallèlement à la production, nous avons dû renforcer nos compétences commerciales: une extension de notre siège à Granges et comprenant une trentaine de bureaux vient de se terminer.
Ceci dit, les réponses sont très variables. Sur des débouchés historiques, comme la Suisse, l'Allemagne ou le Japon, nos produits manufacture étaient attendus depuis plusieurs années déjà. Pour ces régions, nous avons simplement changé de ligue. Mais sur d'autres débouchés n'ayant pas encore ce niveau de culture horlogère, il y a encore un important effort à fournir. Nous devons capitaliser sur notre nouveau savoir-faire au niveau de la distribution.

Faites-vous allusion à la nécessité d'opérer à travers des points de vente monomarque?
Absolument. Nous devons renforcer notre image sur certains points stratégiques. Aujourd'hui, si vous voulez vous positionner comme une marque forte, vous devez passer par les points de vente monomarque. Il en existe 24 aujourd'hui, dont 4 sont gérées en direct.

Cela s'est-il accompagné d'un nettoyage du réseau de distribution?
Nous travaillons avec quelque 2200 points de vente dans le monde et la sélection a déjà eu lieu il y a plus de dix ans, quand nous sommes passés au régime 100% COSC (Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres, certification indépendant basée à La Chaux-de-Fonds).

Qu'en est-il du marché chinois, que vous présentez comme une priorité depuis quelque temps?
Nous progressons. Nous le vérifions notamment à travers les ventes aux touristes chinois réalisées en Suisse. Mais la Chine constitue encore une réserve de potentiel que nous nous efforçons de libérer, avec une certaine priorité même. Trois projets d'ouverture de boutiques sont prévus pour cette année.

Qu'en est-il enfin de votre croissance en 2012?
Nous ne commentons pas nos résultats. Notre objectif n'est d'ailleurs pas quantitatif, mais se construit en termes de part de marché et de croissance à long terme.

 

 

Breitling_332965_2

Marque