L’histoire croisée de deux géants de l’horlogerie

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The overlapping paths of two watchmaking giants - Berthoud and Moinet
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En surface, tout rapproche Ferdinand Berthoud de Louis Moinet, deux horlogers de génie, contemporains, auteurs d’inventions majeures. Sur le fond, les divergences furent nombreuses.

Les points communs ne se comptent plus. Entre Ferdinand Berthoud et Louis Moinet, les trajectoires sont si proches qu’elles se confondent au premier regard. Ils sont contemporains : 1727 – 1807 pour le premier, 1768 – 1853 pour le second. Berthoud est né à Neuchâtel, où les Ateliers Louis Moinet résident. Ils ont tous deux voyagé, Moinet en Italie et Suisse puis à Paris, où Berthoud s’installe en 1745 et où Moinet mourut quelques années plus tard. Ils vécurent d’ailleurs tous deux particulièrement vieux pour leur siècle : 80 ans pour Berthoud, 85 ans pour Moinet.

Entre temps, ils furent tous deux auteurs de deux traités fondateurs de l’horlogerie : « Essai sur l’horlogerie » pour Berthoud, « Traité d’horlogerie » pour Moinet. Et eux deux ont côtoyé les plus grands de leurs temps, Louis XV et Napoléon pour Berthoud, quand le second eut pour clients Napoléon, Thomas Jefferson, James Monroe ou le Maréchal Murat.

Un conflit de générations ?
Pourtant, Moinet et Berthoud n’ont pas collaboré directement, comme ont pu le faire Breguet et Arnold en leur temps. Il n’existe nulle trace d’une rencontre. Berthoud avait 40 ans de plus que Moinet et fut son précurseur en bien des occasions, lui qui conduisit les pendules de marine à un niveau d’excellence jamais atteint.

Moinet s’inspira probablement des travaux de Berthoud, qu’il cite abondamment dans son Traité...pour mieux le dépasser. La rivalité pointe sans jamais s’afficher ouvertement, Moinet écrivant dans son Traité à propos de son ainé : « Les progrès de l’Horlogerie ont beaucoup vieilli (son) ouvrage, et plusieurs parties en sont aujourd’hui bien surannées. Notre ouvrage devant remplacer les livres de Berthoud et des anciens auteurs ».

L’histoire croisée de deux géants de l’horlogerie

Généraliste des arts et spécialiste horloger
D’autres divergences apparaissent dans le cours de leurs œuvres. Moinet est un artiste complet. Il étudia la peinture, la sculpture, la gravure. Il les apprit lors de son long séjour en Italie, directement auprès des plus grands maitres de Rome. A son retour, il enseigna d’ailleurs aux prestigieux Beaux-Arts de Paris. Il développa de multiples connaissances en astronomie et en physique voire en chimie.

Berthoud se veut plus spécialisé, devenant une figure éminente de l’horlogerie avec un accent évidemment prépondérant mis sur les chronomètres de marine, dont il reste une figure incontournable. La puissance de son approche horlogère lui ont valu de multiples honneurs : Horloger du Roi (1770), membre de la Royal Society (1764) puis de l’Institut de France (1795).

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Berthoud s’est également largement employé à la vulgarisation de ses travaux. Il rédigea en ce sens plusieurs articles de l’Encyclopédie de Diderot, ainsi qu’un ouvrage au titre explicite : « L’Art de conduire et de régler les pendules et les montres. A l’usage de ceux qui n’ont aucune connaissance d’horlogerie », publié en 1759. Globalement, Berthoud fut d’ailleurs l’un des auteurs horlogers les plus prolixes de tous les temps, avec plus de 4000 pages publiés et 120 planches gravées.

Une carrière ou un chemin de vie ?
En parallèle, notons la volonté affichée de Berthoud de déposer ses inventions, par le biais de « plis » officiels déposés auprès de l’Académie des Sciences, l’ancêtre du brevet. Ce soin lui confèrera d’une part la postérité certifiée de nombre de ses inventions mais aussi, de manière plus pragmatique, des subventions royales pour mener à bien ses travaux.

Moinet, à l’inverse, cultivait une certaine retenue, voire une discrétion dans son art, restant éminemment méfiant envers l’horlogerie de volume ou de complaisance. L’homme n’y voit que « le travail négligé de plusieurs manufactures ou fabriques à quantités, qui tuent ordinairement l’art et les artistes ». Rigoureux jusqu’à l’extrême, il fustigea la mode horlogère, l’artifice mécanique, l’absence de recherche : « Ce qui séduit d’abord ne soutient pas toujours l’épreuve du temps ». Moinet vécut pour son art mais retiré, sans plis, sans brevet, sans le moindre jalon légal posé à son œuvre, ce qui explique les difficultés encore tenaces aujourd’hui à en connaître tous les contours.

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Enfin, Berthoud put vivre de ses rentes grâce à son entreprise de chronométrie royale parfaitement maitrisée. Moinet, lui, mourut seul et désargenté, ayant investi la totalité de ses deniers personnels (ainsi que ses dernières forces) dans la publications de son Traité d’Horlogerie. Il s’éteignit également dans un relatif anonymat avant que la lumière ne revienne sur lui plus de 150 ans plus tard, notamment par la (re)découverte de son Compteurs de Tierces, formellement attesté comme le premier chronographe de l’histoire (1816). Berthoud et Moinet, aujourd’hui, se rejoignent tous deux par le magnifique travail de réhabilitation des maisons qui portent à présent leur nom.

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