Verre à moitié plein

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Verre à moitié plein - Perspectives 2016
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De nombreux analystes ont prédit une année morose pour l’industrie horlogère suisse; le mois dernier a été le plus faible mois de mars depuis 2011. Y aurait-il tout de même des raisons d’espérer ?

Volatilité sur le marché des devises, lois anti-corruption en Chine, conflits armés, attaques terroristes, épidémie, etc., tout est bon pour prédire une diminution du chiffre d’affaires des horlogers en 2016. Certes, le franc fort et les tensions géopolitiques ne sont certainement pas neutres dans les capacités d’exportation et les modifications des flux touristiques, mais est-il bon pour autant de noircir le tableau trop vite ? Les grands groupes s’organisent pour s’adapter le plus efficacement à ces fluctuations et il semblerait même que certains tirent plutôt bien leur épingle du jeu.

À première vue, le bilan eut été meilleur : ce mois-ci, la Fédération de l’industrie horlogère suisse annonce un 9e mois de diminution des exportations en valeur et en volume (chiffres de mars). Élément intéressant cependant, on a observé en février un léger sursaut de la croissance du côté du segment des montres haut de gamme (supérieure à 3000 CHF prix export), avec une progression 5,8% du volume et 1,4% du chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente. Malgré tout, ce signal encourageant a rapidement été démenti par les résultats de mars qui enregistrent, pour le même segment, une nouvelle chute de 17,6% en valeur. Mais pour ceux qui souhaitent conserver un regard optimiste sur les affaires (car la "confiance" a un impact non négligeable bien que non quantifiable), il faudra vérifier deux hypothèses en 2016 :
-    La bonne santé des marchés japonais et européen permettrait d’atténuer en partie la dégringolade de Hong Kong.
-    Les effets des mesures anti-corruption chinoises restent toujours controversés et auraient tendance à s’estomper. La récente affaire des «Panama papers», impliquant largement des responsables du parti au pouvoir, vient appuyer cette thèse. D’ailleurs, des groupes tels qu’Hermès ou encore LVMH affichent pour l’exercice 2015 une légère croissance en Asie (hors Japon).

Maison Hermès Tokyo

Alors, si le contexte est globalement compliqué, en particulier pour les indépendants qui n’ont pas la possibilité de compter sur d’autres secteurs d’activité que l’horlogerie, certains leaders mènent plutôt habilement leur barque dans ces vents contraires.

C’est le cas de LVMH qui augmente la part de ses ventes en Asie (hors Japon) d’un point entre 2014 et 2015. Le groupe de Bernard Arnault affiche ainsi une croissance organique de ses ventes horlogères et joaillières de 8%, et de 19% en y ajoutant l’effet de change dû en particulier à l’affaiblissement de la devise européenne.  Pour ce groupe, dont l’horlogerie/joaillerie ne représente que 9% de l’activité totale, c’est sur ce segment qu’il enregistre sa plus forte croissance avec un résultat opérationnel en hausse de 53%. Dans un communiqué, le groupe attribue cette réussite à l’année record de Bvlgari, à la stratégie de recentrage de TAG Heuer sur son cœur de gamme, et bien sûr, à la forte croissance de Hublot.

Hermès n’est pas en reste. Malgré un contexte reconnu difficile en Asie (hors Japon), le sellier annonce une stabilité de ses ventes horlogères dans le monde et compense ainsi les pertes sur le secteur chinois, ceci notamment grâce à la bonne performance de la maroquinerie-sellerie et de la division vêtements-accessoires qui lui permet de faire croître de 5% son chiffre d’affaires sur le marché asiatique (hors Japon) en 2015. Dans un climat miné par l’incertitude, Hermès a fait le choix de la prudence pour ses investissements 2015. Son coup de bride permet d’afficher une progression importante de son résultat opérationnel, à hauteur de 19% tout de même.

Swatch Group, qui a vu sa marge bénéficiaire sérieusement entamée par le franc fort, est parvenu à maintenir son chiffre d’affaires en enregistrant une baisse de -0,8% (taux de change constant). Le leader mondial de l’horlogerie n’est manifestement pas prêt à regarder le train passer et poursuit sa stratégie offensive en 2016, basée sur une politique d’ajustement des prix très restrictive afin de soutenir la croissance du volume des exportations. Il s’agit d’ailleurs du traitement préconisé par le cabinet Bain afin de lutter contre la volatilité sans précédent sur le marché des devises et s’adapter à une clientèle toujours plus mobile à l’international. « Ceci implique par exemple d’ajuster la gestion de stock en fonction des flux touristiques ou encore de coordonner les prix et les démarques selon les marchés et les canaux de distribution », explique le cabinet Bain dans un communiqué.
À l’instar des autres géants du secteur, un autre levier de la stratégie du groupe consiste à soutenir assidument l’implantation de boutiques monomarques. Uniquement sur l’exercice 2015, ce sont plus de 100 points de vente en propre qui ont été ouverts – pour la plupart en Asie – sur des  « high streets ». De ce côté, la dynamique semble bonne, puisque Swatch Group annonce des taux de croissance compris entre 20% et 40% aussi bien en Europe qu’au Japon, à Taïwan, à Singapour, en Malaisie, en Thaïlande et même en Chine continentale. L’entreprise, dont le patron Nick Hayek est vent debout contre la politique de la BNS, s’est même essayée à calculer sa croissance convertie en euros qui se porterait alors à 10,3% !

Les plus alarmistes concernant la santé de l’horlogerie en suisse auront donc peut-être de quoi se rassurer : les groupes ont toujours une capacité d’adaptation suffisante pour miser sur des secteurs en croissance et ajuster leurs stratégies à la conjoncture. Bien sûr, chacun est impacté différemment en fonction de la distribution géographique de sa clientèle. Nous suivrons donc avec attention la publication prochaine, fin mai, des résultats 2016 du groupe Richemont – qui enregistre près de 50% de son chiffre d’affaires en Asie et a par ailleurs déjà annoncé jusqu’à 350 emplois supprimés en Suisse –, et nous verrons ainsi si quelques éclaircies parviennent à percer le brouillard dans lequel se trouve actuellement l’industrie.