8e Forum de la Haute Horlogerie – Le Temps des Mutations

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8th Forum de la Haute Horlogerie – The Age of Transitions - Fondation de la Haute Horlogerie
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Le 9 novembre dernier, se tenait à Lausanne le 8ème Forum de la Haute Horlogerie, dédié à la profonde transformation de notre environnement. Économistes, politiciens et académiciens étaient présents pour débattre de l’état du monde et des forces en train de le façonner.

Pour cette 8ème édition, le thème retenu était celui du « Temps des Mutations ». Il était impossible pendant cette journée, programmée le lendemain de l’élection américaine, d’ignorer les forces à l’oeuvre en ce début de XXIe siècle qui posent nombre d’interrogations quant à notre avenir. Interrogations quant aux progrès technologiques, questionnements sur les enjeux politiques, mise en doute des modèles de croissance… Jamais peut-être l’évolution du monde n’a été si ambivalente : porteuse des plus belles promesses si l’on songe aux sciences de la vie, mais également chargée de dangers si l’on considère le seul fossé des inégalités. Ce Forum, dont voici en résumé les différentes interventions, s’est fait l’écho de cette problématique qui touche l’ensemble de la planète et influence déjà notre vie au quotidien.

Les États-Unis
Jean-Eric Branaa, Auteur et spécialiste des questions politiques et sociales américaines
En une nuit, Jean-Eric Branaa a vécu autant d’ouragans que de résultats contraires à ses prévisions qui voyaient Hillary Clinton remporter les élections présidentielles américaines. «On peut surtout voir dans le succès de Donald Trump un rejet de son adversaire, voire un rejet de l’establishment, commentait-il. Des arguments qui sont certes valables pour expliquer sa victoire mais qui ne rendent pas compte de ce qui l’on serait volontiers tenter de masquer : une adhésion massive au candidat républicain malgré tous ses excès. Une adhésion finalement à un homme « normal » et non à un super champion politique. Pourra-t-il, comme il l’a promis, être le président de tous les Américains et unifier un pays profondément divisé et blessé ? Une chose est sûre, nous voilà plongé dans un conservatisme datant d’il y a 50 ans avec l’espoir que les institutions américaines amèneront Donald Trump à gouverner au centre. »

L’Europe
Hubert Védrine, Ancien ministre des Affaires étrangères français
Pour Hubert Védrine, l’élection de Donald Trump est le résultat, comme en Europe, d’une montée des populismes. Mais plutôt que de se lamenter, il est impératif d’en analyser les causes. « A mon avis, cela tient au fait que les populations se sentent abandonnées, trompées et méprisées. Les promesses de la mondialisation ne se sont pas concrétisées pour les classes moyennes des pays à fort pacte social. Le vrai problème, c’est donc le décrochage des peuples. Or qu’est-ce que l’Europe a à leur offrir, si ce n’est une législation sur la taille des concombres ou des pommeaux de douche ? Faute de projet politique, nous assistons à une insurrection électorale comme aux Etats-Unis. Pour y remédier, je ne vois pas d’autres solutions qu’une opération chirurgicale de subsidiarité autour d’objectifs fondamentaux pour l’Europe dont la sécurité et la souveraineté font partie. »

Le Moyen-Orient
Gilles Kepel, Auteur et spécialiste de l’islam et du monde arabe contemporain
En se référant à la victoire de Donald Trump, Gilles Kepel parle de l’expression d’un «changement tectonique» dans l’organisation du monde. Changement que l’on peut également observer au Moyen-Orient. « Longtemps, les pétrodollars ont permis de stabiliser la région qui vivait sur une rente, rappelait-il. Mais depuis que les prix du baril ont chuté et que les cartes sont en train d’être redistribuées au niveau énergétique, la région a sombré dans le chaos suite au Printemps arabe. Un chaos qui n’épargne pas l’Europe, comme on a pu le voir avec la crise des réfugiés, et contre lequel un Donald Trump a été perçu dans son pays comme un rempart. Résultat, nous vivons sur le Vieux continent un djihadisme de troisième génération qui provoque la montée de l’extrême droite. Cette polarisation est bien ce que l’on peut appeler une crise de civilisation. »

Prospective 2038
Virginie Raisson, Chercheuse en géopolitique prospective
Dans un monde en pleine accélération, il n’y a finalement que deux certitudes auxquelles se raccrocher. « La première est que le futur ne se déroulera pas comme prévu, exposait Virginie Raisson. Et la deuxième, que le futur naîtra des choix que nous faisons maintenant. Rien ne sert donc d’attendre. » Et la chercheuse de prendre des exemples dans l’économie mondiale se rapportant à des ressources essentielles dont la rareté est d’ores et déjà programmée : l’eau source de vie, mais aussi les fèves de cacao, le sable indispensable aux constructions, la plupart des espèces de poissons victimes de la pêche intensive ou encore le travail. « Cette transition, nous la vivons aujourd’hui déjà. Raison pour laquelle nous devons imaginer des solutions. Et l’une d’entre elles qui prend des contours de plus en plus précis est celle qui consiste à faire mieux avec moins, en un mot l’économie participative. »

Les technologies qui vont changer notre vie
Gerd Leonhard, Futurologue
« Le nouveau pétrole, ce sont les données et l’intelligence, ce qui les rend exploitables, annonçait Gerd Leonhard. Il suffit de voir quelles sont les plus grosses capitalisations de la planète, Apple, Google et autre Facebook, pour comprendre que c’est la technologie qui mène le monde. Or la technologie connait une croissance exponentielle qui fait que tout ce qui pourra être numérisé et automatisé dans le futur le sera et à un rythme que l’on peine encore à imaginer. Corollaire de cette évolution, sans connectivité point de salut. L’intelligence artificielle entre en jeu qui va déboucher sur une informatique cognitive. En un mot, les machines pourront faire tout ce qui relève des tâches routinières, dans tous les secteurs. Cette évolution, qui dessine un futur qui ne sera assurément pas une extension de notre présent, exige de définir de nouveaux rapports entre l’homme et la machine, en sachant que toute identification est à proscrire. »

L’influence numérique sur le monde des affaires
Michael Wade, Professeur innovation et stratégie IMD
Entre la technologie, dont l’évolution est exponentielle, et l’organisation des entreprises qui peine à suivre le tempo, il se crée un vide que l’on aurait tendance à vouloir combler par une numérisation à outrance des systèmes et procédures.
Attention, avertit Michael Wade, si numérisation il y a, elle doit viser essentiellement à l’amélioration des performances. Et pour y parvenir, pas question de vouloir simplement reposer sur une stratégie consistant à numériser les tâches. La souplesse et la réactivité d’une organisation sont de bien meilleurs atouts, surtout si elles visent à offrir des biens et services qui correspondent aux attentes avec un haut niveau d’adéquation. « Une expérience client numérique n’a pas de sens en soi, même si elle est personnalisée à outrance, rapportait-il. En revanche, elle a beaucoup plus de valeur si elle a un haut niveau de pertinence. »

Mutations et défis dans le secteur horloger
Cyrille Vigneron, CEO Cartier
« Comment moderniser la musique classique. En tout cas pas en y introduisant des interludes de rap. » Pour Cyrille Vigneron, Cartier est dans le même cas de figure. Il s’agit d’une marque de luxe adulte, recherchée pour des modèles qui, pour certains, datent de plusieurs décennies. Une marque qui aurait tort de céder aux sirènes du jeunisme mais se doit d’attirer l’attention des jeunes générations. Une des clés se trouvent évidemment dans la distribution où présence physique et virtuelle ont une complémentarité à jouer, mais dans un savant dosage encore à trouver.

Olivier Audemars, Vice-président du Conseil d’Administration Audemars Piguet
Comment Audemars Piguet tire son épingle du jeu dans l’environnement actuelle. « C’est parce que nous avons pris des décisions qui portent aujourd’hui leurs fruits, rapportait Olivier Audemars. Parmi elles, la réduction du réseau de vente, une limitation des capacités de production, un déploiement raisonnable en Chine. Au début de la décennie, nous nous sommes demandé qui nous étions réellement. Or la réponse tient en peu de mots : des horlogers qui produisent des instruments mécaniques complexes qui parlent au coeur avant de donner l’heure. »

Maximilian Büsser, Propriétaire et Directeur créatif MB&F
Le modèle de MB&F consiste à réaliser des sculptures mécaniques qui donnent l’heure. Et pour ne pas brider une créativité qui se singularise dans l’univers horloger, la Maison a depuis quelques années fait plafonner son chiffre d’affaires ainsi que le nombre de pièces qu’elle produit par an. « C’est vrai, je ne peux pas offrir de plan de carrière à mes collaborateurs, ni d’augmentation salariales année après année, expliquait Maximilian Büsser. Mais je peux leur offrir la fierté du travail accompli en participant à une aventure horlogère un peu « dingue » et un environnement éminemment sympathique. » Une formule qui a ses inconditionnels.