Une montre Swiss Made ou un capital à la banque?

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A Swiss Made watch or investment banking?  - Editorial
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Le nouveau choix des consommateurs suisses.

L'horlogerie suisse est-elle en crise? Non! Sans doute pourrez-vous trouver des réponses différentes ailleurs, ainsi que de longues discussions et débats sur des problèmes plus ou moins graves touchant le secteur. Bien sûr, l’horlogerie a connu des hauts et des bas, comme beaucoup d’industries, mais elle continue d’exporter pour plus de 20 milliards de francs suisses de montres chaque année, ce qui est loin de démontrer qu’elle est au bord du gouffre. 

Elle a montré ses capacités de résilience face à l’émergence du quartz, et en est même ressortie plus forte. Elle semble également bien s’en tirer face à la menace des montres connectées, infirmant la morosité prédites par certains commentateurs. L'Apple Watch en est à sa quatrième version et, vu les énormes quantités vendues, si elle représentait vraiment une si grande menace, nous en aurions certainement déjà vu les répercussions, non ? Comme le soulignait Thierry Stern, Président de Patek Philippe cette semaine dans les colonnes du Figaro, "mon chronographe à quantième perpétuel a déjà enterré une demi-douzaine de générations d’iPhone, et ce n’est pas fini…"

Pourtant, vue dans un contexte plus large, l’horlogerie connaît quand même des problèmes internes, comme l’ont montré les récentes arrivées et sorties de marques (principalement des sorties d’ailleurs) dans deux des plus grandes expositions horlogères mondiales. Avec ce débat qui a agité la semaine passée, on aurait facilement pu passer à côté d’une nouvelle menace pour l’horlogerie suisse. Il s’agit d’une nouvelle campagne d’affiches d’une banque suisse (voir photo ci-dessus) que je n’ai repérée que parce que je passe devant deux fois par jour dans la gare de Genève. Depuis qu’elle a changé son nom en banque CLER, l’ancienne banque suisse Coop fait preuve d’une audace qui semble faire défaut à l’industrie horlogère. Finie l’image vieillotte des costumes à rayures et de coffres secrets abritant des lingots d’or et des billets d’origine douteuse. À la place, la banque CLER a aménagé ses succursales de manière à ressembler davantage aux bureaux de Google, a innové dans le monde de la banque en ligne (en lançant la première «banque pour smartphone» en Suisse) et a osé parler plus ouvertement d'argent et de finance en général dans un pays sollicité précisément depuis longtemps pour sa discrétion en la matière.

Elle a commencé sa campagne par des messages simples annonçant le montant précis que la banque payait pour chacune de ses publicités, qu’elles soient en ligne ou «  out of home» (OOH), autrement dit des affiches. Imaginez les répercussions sur l'industrie horlogère s’il prenait l’envie à une seule marque de faire la même chose avec ses publicités, ou même d’informer ses clients de l’origine des composants de ses montres et leur prix !

Jusqu'ici, tout va bien pour la banque. Mais l’affiche que j’ai vue a attiré mon attention parce qu’au centre on y voit une Rolex Oyster tatouée sur le poignet d’un homme. Pourquoi? Le texte «Pas besoin d’être riche» de l‘affiche renvoie aux services de placement financier que la banque propose à ses clients à partir de 10’000 francs suisses d’actifs. Avec comme message subliminal d’inciter le client à confier cet argent à la banque plutôt que de le dépenser dans la boutique Rolex la plus proche. Une autre affiche de la même campagne montre une femme portant un sac en papier sur lequel le logo Chanel a été rapidement écrit au marqueur noir.

Ironiquement, le retour sur investissement d'une Rolex est probablement supérieur à ce que la banque peut offrir. Le message est néanmoins clair et met le client potentiel devant un choix simple: une montre ou un capital placé à la banque? Vendue pour quelques centaines de dollars, l’Apple Watch ne peut espérer rivaliser avec les montres suisses dans le domaine du luxe, mais la campagne de la banque CLER laisse à penser que la concurrence pourrait venir de plus près de chez nous.