Les statistiques peuvent facilement être détournées pour soutenir un argument particulier, ou, pire, être mal représentées graphiquement afin d’induire le public en erreur (comme le montrent ces exemples de Fox News). Voilà pourquoi j’insiste toujours pour passer par les données brutes chaque fois que c'est possible et quel que soit le sujet, afin de voir le fond des choses. C’est pour cette raison que j’avais pris le temps de lire les 80 pages du rapport Vontobel sur l'industrie horlogère, avant de me forger une opinion sur les perspectives pour 2016.
Donc, quand j’ai appris l'existence du rapport de l'OCDE sur la contrefaçon, j’ai tout naturellement fait de même. La publication intitulée Trade in Counterfeit and Pirated Goods: Mapping the Economic Impact (ndlr: Le commerce des produits contrefaits et piratés: Cartographie de l'impact économique) est disponible en ligne pour ceux qui auront la patience d’en digérer les 138 pages.
Le rapport estime la valeur du commerce mondial des produits contrefaits à 461 milliards de dollars (2,5% du commerce mondial total) pour 2013, sur la base des chiffres des saisies douanières. Sans surprise, la Chine et Hong Kong sont – et de loin - les plus importants acteurs géographiques de ces produits piratés. Les chaussures représentent la plus grande catégorie de produits trouvés dans les marchandises saisies, ce qui explique probablement pourquoi des marques comme Salvatore Ferragamo équipent désormais leurs chaussures de puces RFID afin de prouver leur authenticité.
Que fait l'industrie horlogère suisse pour lutter contre ce fléau ?
Sur la base d’une méthodologie assez complexe qui prend en compte la valeur des biens saisis ainsi que les quantités, le résultat, peu surprenant, révèle que les montres sont le produit le plus susceptible de souffrir de contrefaçon. Considérant les moyennes pour 2011-2013, l'industrie réalise en effet un score «parfait» en vertu de la méthodologie de l'OCDE.
Une façon de lutter contre le fléau de la contrefaçon consiste à réduire la demande, ce que des pays comme la Suisse font en infligeant de lourdes amendes à toute personne important des produits contrefaits dans le pays, qu’ils aient été acquis sciemment ou inconsciemment. La Fédération de l'industrie horlogère suisse (FH) prend la question très au sérieux. En plus de former le personnel douanier dans le monde entier à reconnaître les fausses montres, les membres de la FH rôdent dans les couloirs de Baselworld à la recherche de montres affichant trompeusement une origine suisse.
Fait intéressant, la Fédération a constaté cette année que cette activité délictueuse s’était déplacée des pavillons nationaux du Hall 4 vers les stands du Hall 2, où cinq exposants ont été épinglés.
Au-delà des frontières helvétiques, la Fédération organise des actions de saisie et de destruction de fausses montres. " En moyenne, nous détruisons chaque année environ un million de fausses montres, sur tous les continents ", explique Jean-Daniel Pasche, président de la FH. La Fédération procède aussi à la surveillance de la Hong Kong Watch and Clock Fair en septembre. " La FH milite également auprès des autorités afin qu’elles légifèrent contre la contrefaçon, lancent des campagnes de sensibilisation dans les médias, organisent des expositions dans les aéroports et montrent des images de destruction de fausses montres par rouleaux compresseurs ", ajoute M. Pasche.
Le problème d'Internet
Internet est une source importante de contrefaçons horlogères (plus de 60% des saisies de fausses montres sont des expéditions postales). La FH dispose d'une équipe dédiée qui surveille plus de 11’000 sites de vente de montres contrefaites. " Chaque année, nous parvenons à obtenir la mise hors ligne de milliers de montres ", explique M. Pasche. " Nous bloquons aussi des noms de domaine aux Etats-Unis, pour empêcher ces sites de fonctionner. Nous faisons également retirer des publicités pour la vente de fausses montres sur des plateformes comme Alibaba, Aliexpress, Paipai, Ruten, Taobao et des médias sociaux tels que Facebook, Youtube et Instagram. En 2015, nous avons ainsi fait retirer plus de 600'000 publicités. "
"Nous devons saisir les faux physiques ainsi que ceux du monde virtuel"
Parfois, des marques horlogères elles-mêmes, touchés par le commerce de la contrefaçon, travaillent en collaboration directe avec la FH. " Il existe un groupe anti-contrefaçon au sein de la FH, " révèle M. Pasche, " que les marques peuvent rejoindre, sur une base de volontariat. Elles apportent une contribution financière et élaborent avec nous des objectifs, et nous aident dans notre travail. "
Fake watches are for fake people
En collaboration avec la Fondation de la Haute Horlogerie, la FH a lancé une campagne anti-contrefaçon au slogan provocateur : " Fake watches are for fake people " . Mais quels sont les conséquences les plus directs de l’achat d’une fausse montre, en dehors de l'impact sur l'industrie horlogère suisse ? Selon M. Pasche, " le consommateur est trompé quand il achète une fausse montre sans le savoir. Il gaspille son argent. En outre, il peut arriver que les fausses montres provoquent des irritations de la peau, car les faussaires font peu de cas de la qualité des matériaux utilisés. Le client doit aussi se rendre compte qu'il soutient le crime organisé, l'exploitation des pauvres (qui travaillent pour des salaires de misère et sans aucune protection sociale) et même le financement du terrorisme ".
Puisque les chiffres les plus récentes remontent à 2013, peut-on imaginer que la situation se soit améliorée ou aggravée depuis? " C’est difficile à dire avec exactitude" , conclut M. Pasche, " mais je ne pense pas que la situation se soit améliorée et les fausses montres continuent d'avoir un impact majeur négatif sur notre industrie. "
