Histoire d'un succès fou

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Fondée en 1875 par Jules Louis Audemars et Edward Auguste Piguet, la manufacture s'est rapidement imposée dans la haute horlogerie.

24Heures - 11 juin 2012

Katarzyna Gornik


Parlez d'Audemars Piguet à un amateur de montres, et c'est un peu comme si vous évoquiez une lignée d'aristocrates de l'horlogerie. Non que le sang bleu ait coulé dans les veines des fondateurs de la manufacture combière. Mais plutôt pour le prestige que Jules Louis Audemars et Edward Auguste Piguet ont rapidement acquis dans leur spécialisation: les mouvements mécaniques compliqués.

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D'ailleurs, tout commence dans les combles d'un bâtiment proche de la ferme familiale des Audemars, en 1875, au Brassus. Jules Louis est un horloger, suffisamment doué pour travailler comme repasseur. Une fonction qui implique de vérifier, corriger et régler les mécanismes des montres. Le jeune homme y installe justement un atelier de fabrication de mouvements compliqués. Très rapidement, les commandes affluent. Au point qu'une aide devient indispensable. Edward Auguste Piguet, ancien camarade d'école primaire, sera son collaborateur privilégié pendant six ans. Les deux amis réalisent un jour que ce sont les sociétés qu'ils fournissent qui font l'essentiel du profit en commercialisant les montres complètes. En 1881, ils signent devant notaire le contrat qui fait d'eux des associés.

Du Brassus à Buenos Aires

Audemars et Piguet alimentent le succès par leurs prouesses techniques. En 1889, leur entreprise est même le troisième plus grand employeur du canton, avec un effectif de «dix employés mâles», selon l'historiographie de la société. La mondialisation, donnée incontournable de nos jours, est déjà une réalité. L'horloger est représenté par des agents, dès 1888, à Berlin, à New York, à Paris et à Buenos Aires. Le développement ira bon train, mais la Première Guerre mondiale met un sérieux coup de frein aux activités de la manufacture, comme d'ailleurs à l'ensemble de l'industrie du luxe.

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Une fois la paix revenue, la vie reprend son cours, malgré le décès des fondateurs en 1918 et en 1919. Leurs fils, Paul Louis Audemars et Paul Edward Piguet, reprennent le flambeau. La manufacture compte alors plus d'une vingtaine de collaborateurs et ses clients s'appellent Cartier, Tiffany et Gübelin.

Après la guerre survient encore le krach boursier de 1929, qui met à rude épreuve la manufacture. La deuxième génération explore alors la voie des montres bon marché, vendues sous les marques Audiguet et APCO. Une idée abandonnée dès que la reprise se fait sentir, dès les années 1945. Coïncidant avec l'arrivée de Georges Golay comme directeur commercial, succédant à Paul Edward Piguet.

Conventions bousculées

Mais c'est avec la mise sur le marché du modèle Royal Oak, en 1972, que la production d'Audemars Piguet s'envole. Au moment même où la crise horlogère menace la survie de cette industrie en Suisse.

Le pari est très audacieux et accueilli par le milieu horloger avec le plus grand scepticisme. A l'époque, une montre de luxe ne s'envisage que toute d'or ou de platine. La Royal Oak est en acier et de forme octogonale, alors que la mode est aux rondeurs. En outre, elle est proposée à un prix décoiffant. «Une montre en acier pour le prix d'une voiture», relève un confrère du Figaro dans un article consacré en 2007 à la saga Audemars Piguet. «Audemars Piguet sait alors qu'il choque les esprits. Qu'importe! Cette insolence, l'horloger suisse (…) en a fait une marque de fabrique», conclut le journaliste.

L'audace paie. Jusque dans les années 70, la manufacture produisait quelque 5000 montres par an. Quarante ans plus tard, Audemars Piguet emploie 1100 personnes et vend près de 30 000 montres par an. En 2011, la barre des 550 millions de chiffre d'affaires est dépassée pour la première fois. La Royal Oak — et ses déclinaisons — pèse lourd dans ces résultats. Aujourd'hui, la maison cultive un état d'esprit mêlant respect de la tradition et nage à contre-courant. Tenant mordicus à son statut de société indépendante, en mains familiales. Sur le champ de bataille des grandes manœuvres de rachats et de fusions, l'entreprise, avec Jasmine Audermars à la présidence du conseil d'administration, toise les grands groupes. Le départ récent de son directeur général, Philippe Merk, n'y changera sans doute rien.

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