En visite chez Romain Gauthier

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…pays a visit to Romain Gauthier - A L’Emeraude
A L’Emeraude est l’un des trois seuls détaillants en Europe à représenter Romain Gauthier, qui nous accueille dans sa manufacture de la Vallée de Joux.

La boutique phare de Lausanne s’est vu confier par Patek Philippe et Rolex des espaces monomarque en parallèle aux grandes marques qu’elle affiche en vitrine, mais ne se repose pour autant pas sur ses lauriers. Pour son directeur Derek Cremers, A L’Emeraude se doit de faire découvrir aux clients le savoir-faire exceptionnel des petits artisans horlogers, qui font partie intégrante de la magie de la haute horlogerie. Il les invite donc régulièrement à visiter les manufactures et à y rencontrer l’âme de ces marques de niche, qui ne réalisent que quelques dizaines ou centaines de montres par an. Les créateurs aux commandes de ces marques souvent éponymes lui en sont très reconnaissants, ne disposant pas des moyens de se faire connaître à la hauteur de leur talent spectaculaire. Ils ont tissé des relations privilégiées avec A L’Emeraude, qui est donc souvent l’un des très rares détaillants européens autorisés à vendre les montres de de Bethune, F.P Journe, Voutilainen ou Romain Gauthier. Son emplacement au cœur de la ville olympique le situe à moins d’une heure de voiture de ces adresses aussi authentiques que discrètes. En cette belle journée de mai, WorldTempus était dans le siège passager et s’est laissé guider sur les jolies routes vallonnées qui mènent au Sentier, bordées de sapins et de vielles pierres.

En visite chez Romain Gauthier

L’histoire commence de manière intime

Découvrir le monde d’un artisan n’est pas le privilège de chacun. Les clients prêts pour ce genre d’expérience ont souvent déjà visité des manufactures de grandes marques, possèdent la plupart du temps une belle collection de montres de luxe, et souhaitent aborder une nouvelle dimension de la haute horlogerie. Les artisans n’ont pas de secret, leur approche est plus directe et plus humaine, la passion les anime plus que tout, souvent autant que la quête de perfection. Ils sont aussi très ouverts lorsqu’il s’agit de réaliser des pièces uniques en fonction des aspirations des clients. Souvent, se laisser séduire par le spectacle d’un premier artisan mène à vouloir pousser la porte d’un second afin d’explorer davantage cet univers si fascinant. Le partage de connaissances et la pédagogie de l’exceptionnel horloger apparaissent comme des valeurs fondamentales prônées par ces artisans autant que par A L’Emeraude.

En visite chez Romain Gauthier

Au volant, Derek Cremers évoque tout naturellement la visite qui attend le client VIP. Ainsi, Romain Gauthier se distingue par son parcours atypique. Né dans la Vallée de Joux, ce véritable Combier y a aussi effectué son parcours scolaire avant de suivre un MBA. Ingénieur de formation et non horloger, il a créé en 2005 la société qui porte son nom avec une double mission : produire des composants de haute horlogerie de la meilleure qualité possible pour une poignée de marques en s’aidant d’un outil industriel ultra-performant, et concevoir ses propres montres en très petites quantités et de manière autonome. Sur ce deuxième point, il a bénéficié des conseils de son ami Philippe Dufour, considéré comme un dieu vivant de l’horlogerie par la communauté des collectionneurs. La vision et la pertinence du travail de Romain Gauthier lui ouvrent des portes : Chanel devient actionnaire de sa société en 2011 et lui permet d’ouvrir sa manufacture en 2014, tout en lui laissant une pleine autonomie opérationnelle, et le jury du Grand Prix d’Horlogerie de Genève le récompense en 2013 pour sa Logical One. Aujourd’hui, Romain Gauthier emploie 27 personnes dans sa manufacture de 800m2, produit 65 montres par an sur la base de 3 calibres « et demi » et par le biais de 13 détaillants dans le monde. A L’Emeraude est l’un des plus importants.

En visite chez Romain Gauthier

Une manufacture où la précision se calcule au micron

Romain Gauthier commente en profondeur chaque étape de la visite, prenant le soin d’expliquer en détails les tenants et aboutissants de ses choix en matière d’outils de production. Dans cette zone de 500m2, les marques s’adressent à lui pour la précision, la fiabilité, le conseil et même sa vision dans la production et sa façon de dessiner certains composants. « L’horlogerie et la production sont deux mondes différents, et l’un ne va pas sans l’autre. Le travail manuel a ses limites et la façon de fabriquer a changé. Seul l’établi de l’horloger est resté quasi-identique, mais déjà à l’époque l’horloger se servait de petites machines à tours et à manivelles. L’homme doit dorénavant utiliser la capacité des machines à effectuer des opérations très complexes, qualitatives, répétitives et à forte valeur ajoutée. Les micro-composants tels que la tige d’ancre ou les tubes de guidage sont presque invisibles à l’œil nu, ils se mesurent en 10e de millimètre. Nous en fabriquons des centaines de milliers par an. La maîtrise de la micromécanique donne du sens à l’horlogerie. C’est d’ailleurs ce qu’a prouvé Rolex, où les procédés techniques sont établis de manière ultra-maitrisée, rendant les produits extrêmement fiables et robustes»  commente Romain Gauthier au milieu de son parc de machines, dont l’investissement s’élève à plusieurs millions de francs. Il précise d’ailleurs que le coût des machines peut varier du simple au décuple pour la même tâche, mais pas la même qualité…

En visite chez Romain Gauthier

S’il est convaincu par la pertinence d’un outil industriel ultra-moderne et performant, il reste persuadé par les compétences humaines guidant ses machines. « Lorsque la tolérance se chiffre à plus ou moins deux microns, avec des zones fonctionnelles extrêmes en roulé-décolleté, l’expérience derrière la machine et l’outillage sont déterminants. Il faut des compétences pour les exploiter ». Les techniciens qui lui ont livré les machines n’en revenaient pas en réalisant que Romain Gauthier n’allait pas utiliser leurs logiciels de programmations standard, mais que son équipe aller créer ses propres lignes de code. « Nous avons développé ce savoir-faire et les marques viennent nous voir pour que nous écrivions un code sur-mesure pour leurs composants, en fonction de leurs propres design et fonctionnalités. C’est loin de l’horlogerie mais cela permet de l’améliorer. Surtout lorsqu’il s’agit d’usiner le titane ou l’aluminium aéronautique (par exemple pour des composants de fusée-chaîne ou de balancier spécifique), ou encore les composants fins qui impliquent de jouer avec la tension des matières : plus c’est fin plus les tensions se libèrent. » La précision et la rigueur extrêmes impliquent aussi de travailler dans un environnement stable et à température constante (+/- 1°) pour l’usinage de certaines matières, « car sinon les microns giclent ! Ici on ne fait pas de presque. »

Quand un trou dans une platine mesure 4 microns, la machines se doit d’être plus précise, au point de se régler au demi-micron. Elle se manipule au doigt, l’œil rivé au microscope, avec une sensibilité, une expérience et même une intuition hors du commun. Souvent l’outillage standard ne suffit pas, certains instruments proviennent du secteur médical, mais les techniciens de Romain Gauthier créent aussi leurs propres outils. Ici la symbiose entre l’homme et la machine est une religion.

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100 heures d’anglage pour une montre ?

Parfois plus, et c’est la norme chez Romain Gauthier. Nous sommes passés à l’étage supérieur, qui concentre sur 300m2 l’administration et la partie de la manufacture dédiée à ses propres montres. Deux horlogers et quatre angleuses y réalisent quelques dizaines de pièces par an. Ici le polissage et l’anglage ne s’effectuent pas à la meule, pourtant plus rapide, mais à la lime, ce qui nécessite des personnes extrêmement compétentes. « Pour le coup, aucune machine ne peut atteindre ce degré de complexité dans l’anglage » explique le maitre des lieux. « Nos angleuses peuvent passer 30 heures sur un pont au design très complexe, et chaque montre requiert en moyenne une centaine d’heures uniquement pour l’anglage. Personne n’accomplit un travail de décoration aussi abouti. Chaque étape requiert plusieurs sortes de limes, de cabrons en fonction de leur rugosité, et de gentiane pour polir. » Au final chaque pont est unique et chacune des angleuses possède son style. Un collectionneur comparant sa Logical One à celle d’un autre admirera une finition différente à la loupe. « Ce travail est hyper dur. À tel point que le magazine japonais Chronos a consacré 16 pages de manga à nos techniques d’anglage, et notre responsable d’atelier est sollicitée pour effectuer un masterclass à Taiwan pendant une semaine.» La philosophie de Romain Gauthier repose en partie sur la chaine de valeurs, dans laquelle notamment la générosité de l’anglage prend tout son sens : angles bercés sur un rayon et colimaçonnage s’observent aussi sur des montres « simples » telles que son HMS. « Ce n’est pas parce qu’on a un modèle trois aiguilles qu’on doit déprécier le niveau de terminaison. Une montre c’est déjà petit alors faisons attention aux détails ! »

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Et maintenant l’émail Grand Feu en famille

Exigeant à tous les niveaux de la production, Romain Gauthier ne pouvait travailler qu’avec les meilleures émailleuses pour ses Logical One. Or celle dont la technique lui convient le mieux ne peut lui créer que deux cadrans par mois. « Par la force des choses nous avons du nous y mettre. Or mon épouse peint sur porcelaine depuis 17 ans. Une émailleuse très célèbre dans notre industrie a accepté de la former à l’émail Grand Feu, tout en nous encourageant dans notre approche technique du métier. Ma perception de l’émail d’aujourd’hui diffère de celui du siècle dernier. Là aussi je me suis équipé, notamment d’une broyeuse pour concasser, analyser et filtrer les différents composants. C’est une première dans ce métier, où les morceaux font partie de la dimension artistique et où on est peu habitué à ce genre d’investissement. Nous avons également introduit plusieurs phases de contrôle pour respecter notre façon de faire. Notre vision repose toujours sur la qualité et l’évolution de la tradition. J’aspire à des cadrans émail comme de la laque, avec une technique spéciale. Nous apportons une perspective différemment créative.

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