Les fruits d'une stratégie conservatrice

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Les fruits d'une stratégie conservatrice - Hermès
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La prestigieuse maison vise des ventes stables cette année, alors que d'autres groupes s'étiolent.

L'Agefi - 2 juillet 2009
Interview Bastien Buss

 

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Groupe mondial qui a vu le jour en 1837, Hermès constitue un cas atypique dans l'univers du luxe. Cette société, que beaucoup d'observateurs et de clients considèrent comme une icône, est en effet cotée en bourse mais par ailleurs toujours détenue à 72% par la famille du fondateur, Thierry Hermès. Elle cultive son particularisme avec une approche du temps, des risques, des acquisitions ou encore de la croissance qui lui sont propres. D'aucuns parlent de frilosité. D'autres d'une stratégie cohérente, axée sur le long terme, inhérente à une entreprise en mains de la même famille depuis près de deux siècles. Une politique qui porte ses fruits puisque le groupe dégage des ventes de près de deux milliards d'euros, avec une marge de plus de 25%. Un record dans l'industrie. Guillaume de Seynes, représentant de la sixième génération et directeur général adjoint de la maison du Faubourg St-Honoré, a reçu L'Agefi au siège de la société à Paris.

Quelles sont les valeurs d'Hermès?
Nous avons une histoire bien à nous, originale, qui a débuté il y a 172 ans. Nous développons un esprit de continuité. Nos valeurs sont assez simples et elles proviennent de l'origine. Il s'agit de l'excellence des artisans, le souci de la qualité, du sens du détail et des finitions. Le tout enrobé dans une maîtrise industrielle, mais avec toutes les valeurs et l'esprit de l'artisanat. Nous sommes donc fidèles aux fondements de la société, dans un cadre familial et un esprit créatif au service d'un style, qui s'inspire des classiques de la maison. La société s'en nourrit et les fait évoluer. Le dialogue entre l'artisan et le créateur est à ce titre fondamental.

Donc vous rejetez la terminologie d'industrie du luxe.
En effet, nous ne revendiquons en aucun cas ce terme. Un seul exemple peut suffire à illustrer notre philosophie. Mon grandpère a d'ailleurs très bien résumé cet aspect. Il a dit qu'un objet de luxe est un objet qui se répare. Cela inclut donc la qualité et la durabilité. Il est ainsi possible au travers de la réparation de redonner une vie à une pièce. Lorsqu'on évoque une approche industrielle, ces notions font défaut. Nos produits sont de qualité. A travers elle, ils ont donc un coût et aussi un prix élevé.

Quelles sont vos prévisions pour l'exercice en cours après une hausse de 3,2% de vos ventes au premier trimestre à change courant (-4,7% à change constant)?
Nous résistons à la conjoncture notamment dans nos propres points de vente. La maroquinerie se porte particulièrement bien et continue de croître. Les ventes pour l'ensemble du groupe se sont améliorées en avril et en mai. Et cela était également le cas en juin. Par contre, elles restent difficiles dans les autres canaux de distribution. Donc, pour l'ensemble de l'année, le chiffre d'affaires devrait être stable à taux constants. Ce qui en soi est une véritable performance, connaissant le climat actuel de consommation.

Tous vos secteurs ne progressent pourtant pas.
En effet et j'allais y venir. Il est vrai que les métiers que nous vendons pour des raisons historiques dans un réseau plus large, comme l'horlogerie, les parfums ou encore l'art de la table, souffrent davantage. La raison est simple: le sur-stockage et la montée en gamme et donc de valeur de ces stocks chez les détaillants. Ce qui nous amène à faire une prévision, il s'agirait plutôt de parler d'objectif, de stabilité des ventes.

Qualifieriez-vous la période actuelle de simple trou d'air pour le luxe?
La crise est là et elle s'avère forte, grave. Par rapport aux inquiétudes de l'automne dernier et des interrogations liées au système financier notamment, le ciel semble toutefois s'éclaircir. En ce qui concerne la consommation, le marasme reste profond. Sans parler du problème de l'endettement, qu'il s'agisse des particuliers aux Etats-Unis ou des Etats partout sur la planète.

L'Asie semble mieux résister.

En effet. En Chine, nous enregistrons une forte croissance. Hermès commence à avoir une vraie notoriété là-bas. Et nous allons poursuivre les efforts d'implantation, avec différents projets qui sont en cours. Notamment une Maison Hermès à Shanghai, immense espace de vente, d'exposition, de culture et de vie. Le Japon n'a par contre toujours pas redressé la barre. Ses problèmes semblent devoir durer. Le pays est sans doute toujours trop dépendant de ses exportations et donc de la valeur du yen. Il faut encore y ajouter un phénomène de surconsommation de produits du luxe au début des années 2000.

Quels sont vos potentiels relais de croissance?
Il existe encore pour nous de nombreux réservoirs de croissance. D'abord, les pays émergents. J'ai déjà évoqué la Chine, mais il convient d'y associer d'autres marchés, comme le Brésil où nous allons ouvrir notre première boutique cette année. L'Inde, pays dans lequel nous nous sommes implantés l'an passé avec un magasin en propre à New Dehli, recèle un gigantesque potentiel pour notre groupe.

Et ensuite?
Nous avons la conviction que, dans les quatorze métiers dans lesquels nous oeuvrons, notre potentiel de croissance reste intact. Soit parce que certains d'entre eux ne sont pas encore assez connus ou suffisamment visibles. Je pense particulièrement à l'univers de la maison, où notre légitimité n'est plus à démontrer. D'ailleurs, dans notre future enseigne de la rive gauche à Paris, où nous n'étions encore pas présents, nous allons en profiter pour mettre en avant les univers de la Maison.

Un autre cheval de bataille?

Oui. Nous souhaitons accroître nos ventes dans l'univers masculin. Hermès se profile parfaitement dans le prêt-à-porter masculin, notamment au Japon et en Chine. L'ensemble de l'offre proposée aux hommes reste légèrement inférieure à celle consacrée aux femmes. Historiquement pourtant, la maison possède plutôt des racines masculines. C'est un thème avec un fort potentiel de croissance.

Quelle est la ventilation des ventes entre hommes et femmes?
Dans l'ordre de grandeur de 30% contre 70%. A ce titre, Hermès va innover en lançant en février 2010 à New York un point de vente exclusivement dédié à l'univers masculin. Nous ne l'avions jamais fait auparavant. Nous ne sommes toutefois pas obsédés par l'équilibre du 50- 50% des ventes.

D'autres projets?
L'envie nous anime de proposer un bel instrument d'écriture. On y travaille. Toujours est-il qu'aucune date de mise sur le marché n'a été arrêtée.

La récession va-t-elle changer les habitudes de consommation du luxe? On parle beaucoup de la fin de l'exubérance…
Chez Hermès, nous avons la conviction, et pour l'instant elle se concrétise, que le modèle de notre groupe va résister à l'atonie. Nous, et nos produits, nous inscrivons dans la durée. La fin de l'ostentatoire? Je ne pense pas qu'un sac Kelly noir, qui va durer 50 ans, soit vraiment bling bling. Je n'ai pas davantage l'impression que nos collections de prêt-à-porter soient outrancièrement voyantes. Au contraire. Nos valeurs sont pérennes et elles sont perçues en tant que tel par nos clients. Crise ou euphorie économique d'ailleurs. La femme de lettres française Colette avait écrit cette très belle phrase: «chez Hermès, l'envers vaut l'endroit et le dedans, le dehors.»

Vous pesez 1% du marché du luxe. Quelles sont vos ambitions au niveau des parts de marché à atteindre?
Nous ne réfléchissons pas en ces termes.

Pourquoi n'accordez-vous jamais de licences pour vos produits?
Avant tout parce que nous avons ce souci de qualité. Nous voulons que tout ce qui sorte sous la marque Hermès respecte ses valeurs. Même avec une licence très contraignante, cela ne peut être un gage ultime de bienfacture. Enfin, Hermès n'est pas seulement une marque, mais aussi notre nom de famille. Il n'est donc absolument pas envisageable d'avoir un produit qui ne soit pas digne de cet ensemble.

Des spéculations récurrentes de changement de capital ou de vente de la société circulent depuis des années. Qu'en est-il?
Il n'y a actuellement aucune intention de vendre. L'attachement de la famille à l'entreprise est extrêmement fort. Je suis moimême représentant de la sixième génération depuis le fondateur. Et les suivantes vont s'atteler à sauvegarder ce patrimoine et cet héritage. Le groupe suscite beaucoup des convoitises, que les rumeurs peuvent amplifier.

Quelle est votre définition du luxe?
J'aime bien celle, déjà évoquée, de l'objet qui se répare. Une autre me séduit également, émanant elle aussi de mon grand-père. Arrivé au sommet d'une montagne après une marche difficile, il demande un verre d'eau fraîche. Se retournant vers son fils, il lui dit: «tu vois en ce moment, pour moi, le luxe c'est ce verre d'eau.»

 

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Bientôt un nouveau point de vente à Genève

Hermès prévoit de gros investissements à Genève. L'immeuble qui abrite sa boutique à la rue du Rhône a été vendu à Chanel récemment. Mais pour en acquérir un autre, également dans l'artère du luxe de la ville du bout du lac. Plus grand, plus spacieux. Telle sera aussi la nouvelle enseigne, qui verra le jour au numéro 39. Le montant de l'investissement n'a as été détaillé mais il s'élève à plusieurs dizaines de millions de francs. Genève s'avère très symbolique pour la marque. «Il s'agit de notre plus ancien emplacement en dehors de France. Notre implantation y date de 1947. Avec une très belle clientèle, très fidèle », explique Guillaume de Seynes. Pour l'heure, le rez-de-chaussée est occupé par les Ambassadeurs, détaillants de montres prestigieuses. A terme, c'est donc Hermès qui y affichera ses diverses collections. La marque possède douze points de ventes en Suisse. Une présence de taille en comparaison d'autres marchés, comme la Chine (14) ou l'Australie (4). (BBS)



La quête horlogère doit se poursuivre


L'horlogerie n'a jamais vraiment décollé au sein d'Hermès. Alors que ces cinq dernières années, les exportations suisses ont explosé, la marque française progressait à un rythme sénatorial dans ce domaine. Guillaume de Seynes ne s'en cache pas: les résultats sont décevants. Un nouveau directeur général a été nommé en début d'année, en la personne de Luc Perramond. «Nous avons toujours des ambitions dans ce métier. Nous devons nous redéployer plus fortement au niveau géographique, notamment aux Etats-Unis où notre présence reste faible. Même constat en Europe. La marque souhaite en outre réduire sa dépendance au marché japonais. En terme de produits mécaniques, la créativité d'Hermès n'a pas atteint celle de certains de ses concurrents .» La production annuelle s'élève à quelque 100.000 montres. Le premier mouvement mécanique maison, le H1, conçu en collaboration avec Vaucher Manufacture Fleurier, société dans laquelle Hermès possède une participation de 21%, devrait arriver bientôt sur le marché. (BBS)

 

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