Les bénéfices de la culture

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La montre est-elle un bien de consommation ordinaire? Au-delà du profit à court terme, l'horlogerie n'a-t-elle pas d'autres valeurs à défendre? Et si la culture était la voie de ses succès à venir?

WORLDTEMPUS – 1er novembre 2011

Michel Jeannot

Chronique


A vouloir traiter l'horlogerie comme un bien de consommation ordinaire, les horlogers courent un risque majeur: que le client s'intéresse sérieusement à la valeur réelle de l'objet et non plus seulement à une valeur perçue, rêvée ou supposée. Et le différentiel pourrait être sujet à de véritables désillusions. Car sans sa dimension culturelle, celle née d'une histoire millénaire liée à la volonté de mesurer le temps, née de la nécessité d'appréhender cette unité fuyante, de le fractionner en termes intelligibles et pratiques, bref sans le génie humain, l'horlogerie ne connaîtrait à l'évidence jamais le succès qui est sien aujourd'hui.Expositions_331316_0

L'idée d'enracinement

Et cette longue histoire, indissociable de l'idée d'enracinement à une terre, quelle qu'elle soit, est évidemment aussi pour les horlogers suisses - ou même européens - un rempart à l'avènement des horlogeries plus exotiques. Cela est vrai pour l'horlogerie comme pour pratiquement tous les secteurs du luxe. Et induit invariablement cette question gênante: en quoi les Chinois seraient-ils aujourd'hui moins aptes que les Suisses à réaliser de l'horlogerie haut de gamme et pourquoi ne pourraient-ils pas être reconnus comme des maîtres en la matière, n'était cette absence de lien entre un lieu et un produit – d'aucuns parlent de terroir - et le manque de légitimité qui en découle? Pour des clients – notamment asiatiques – très attachés à l'authenticité et à la légitimité des objets de luxe et aux savoirs qui les font naître, cette donnée historique et patrimoniale est fondamentale. Ce ne sont pas uniquement les spiraux en silicium ou les impressionnantes réserves de marche qui dictent l'achat de cet objet d'art appliqué qu'est la montre.Expositions_331316_1
S'il porte toujours remarquablement son nom, le garde-temps n'est plus au XXIème siècle un objet pratique ni même nécessaire; il convient donc de le projeter dans une autre dimension, de lui attacher des valeurs fortes et pérennes pour l'ancrer dans le désir. Ce n'est sans doute pas un hasard si les marques qui ont une véritable légitimité historique à faire valoir se sont pratiquement toutes lancées dans des opérations de mise en valeur de leur patrimoine. Que ce soit par le biais de musées, d'expositions, de publications ou d'autres vecteurs propices à la diffusion du savoir. Histoire d'asseoir leur légitimité et de revendiquer un savoir-faire d'exception, indissociable de l'ambition de la haute horlogerie.

Entre culture et profits immédiats, le cap médian

Depuis plus de cinq ans, la Fondation de la Haute Horlogerie (FHH) – dont certains peinent toujours à saisir la pertinence - œuvre en ce sens et expose en divers points chauds de la planète horlogère. Elle présente actuellement au prestigieux Musée du Kremlin à Moscou une remarquable exposition retraçant 500 ans d'histoire de la montre européenne. Dans cette même dynamique, les marques ne sont pas en reste. Derniers exemples en date, Breguet expose au Landesmuseum de Zürich après le Musée National à Prangins, Cartier au Musée Bellerive à Zurich tandis que Vacheron Constantin a eu les honneurs du Musée National de Singapour.Expositions_331316_2


Cet élan culturel doublé d'une prise de conscience sincère n'empêche nullement de voir ressurgir quelques mercantiles réflexes pavloviens au détour d'un vernissage et de saisir la difficulté de certains patrons à se départir du reporting quotidien des ventes et des profits. On ne se refait pas. La pression qu'on leur inflige est une donnée de court terme, la valeur des marques qu'on leur demande de faire fructifier est une option de long terme. Entre les deux, les capitaines tentent de garder un cap médian qui leur permette, quoi qu'il advienne, de rester dans le peloton de tête et de ne pas se faire décrocher.

Soyons réalistes, personne ne peut croire une seconde que ces opérations culturelles sont menées dans un esprit totalement désintéressé. Qu'importe, cela n'enlève rien à leur valeur; elles ont le mérite d'exister et de renforcer l'assise historique de la haute horlogerie. On n'a pas fini d'en mesurer les bénéfices.




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La Fondation de la haute horlogerie propose une exposition intitulée "500 ans d'histoire de la montre européenne" au Kremlin (Moscou) jusqu'au 10 novembre. © Fondation de la haute horlogerie/Fredi Marcarini



/ BIPH



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