L'obligation éthique, nouvelle contrainte de sourcing

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Ethical obligations, a new sourcing constraint - Precious materials
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Les marques doivent afficher des bulletins de moralité de plus en plus étendus, et propres. Or pour l’approvisionnement en matières précieuses, les possibilités sont minimes et les attentes immenses.

Les marques n'y échappent plus, même dans l'horlogerie. Dans un monde de plus en plus polarisé autour de valeurs morales, elles doivent faire état de leurs crédos. Et prendre position sur des sujets de société éloignés de leur activité. Il ne s'agit pas que de soutenir diverses causes et associations. S'intégrer dans un story-telling caritatif et qui leur ressemble, dans de très nombreux cas préservation de l'océan ou de l’environnement, ne suffit plus. En clair, les marques horlogères ne peuvent plus s'acheter une bonne conscience, elles doivent avoir les mains et les montres propres. Si l'or est à peu près en bonne voie, les diamants et les autres pierres, pas vraiment. Il faut donc mettre ses attentes sous le tapis, surtout en ce qui concerne l’horlogerie.

Souvent sous la pression de la clientèle américaine, les marques sont poussées à la transparence. En effet, les Etats-Unis ont compris depuis longtemps que sur les sujets non électoraux, il était efficace de voter avec son portefeuille et de le faire savoir. C'est sous sa pression qu'un embargo de fait était tombé sur l’utilisation des rubis birmans, détournés par la junte qui dirige le pays. Ces pierres ont donc quasi-disparu des parures créées en occident et font le bonheur des marchands chinois et indiens. 

Alors pour retenir, séduire, mais en réalité convaincre cette clientèle immense et pointilleuse, les marques se révèlent. En particulier, la traçabilité des ressources est un sujet central. Après tout, si vous voulez savoir où a été élevé ce poulet que vous mangez, ce café que vous buvez, et s'ils sont issus de filières qui conviennent à vos standards moraux, il semble normal qu'il en aille de même pour les éléments qui entrent dans la composition d'une montre. Essentiellement, il s'agit d'or et de diamants. De par leur valeur, ils sont le plus sujet à polémique. De par les zones de la planète où ils sont produits, ils sont le plus prompts à être douteux. Les notions de commerce équitable, de respect de l'environnement, d'appropriation et détournement des ressources, de corruption sont devenus des exigences consubstantielles de l'exploitation des ressources minières. Le congrès organisé par la Direction du Développement et de la Coopération (DDC), qui vient de se tenir à Genève, l'a rappelé avec force.

L'obligation éthique, nouvelle contrainte de sourcing

La pression est d'autant plus forte que l'horlogerie a les yeux, le cerveau et la direction stratégique rivés sur les millenials, cette classe d’individus flous en âge, localisation et aspirations, mais pour lesquels on constate que la dimension éthique de la production et de la consommation est essentielle. A bien regarder la proposition éco-responsable de Baume, la nouvelle entité lancée par le groupe Richemont et spin-off de Baume & Mercier, cette marque fait tout pour répondre à ses demandes. Cuir végétal, métaux up-cyclés, versement à des associations caritatives font partie de son cahier des charges. Autre acteur qui a pris fermement position sur un de ces sujets, Chopard ne cesse de monter en puissance sur l'utilisation d'or éthique du label Fairmined. Le basculement sur 100% de la production de la marque est attendu pour ces semaines-ci. Une initiative unique par son timing et son ampleur.

Or l'or éthique ne représente qu'à peine 10-15% de la production mondiale de nouveau métal. Et l'industrie y ajoute encore le métal recyclé, qui est par définition un creuset hétérogène. Il n'y a donc rien de simple à se fournir en or dont on peut certifier qu'il n'est pas issu d'une mine sauvage, à ciel ouvert, utilisant du mercure ou exploitant ses employés.

Mais en dehors de cette initiative, les propositions sont rarissimes et surtout en matière de gemmes. La plupart des marques horlogères revendiquent leur adhésion aux principes du Responsible Jewelry Council. Cette entité a pris partiellement le rôle du Processus de Kimberley, créé dans la foulée du scandale des diamants de sang angolais et de Sierra Leone. Mais comme son prédécesseur, son processus collégial, un cahier des charges aux ambitions limitées et les intérêts à 9 chiffres de cette industrie contribuent à ne pas en faire un acteur satisfaisant, surtout pas au regard des exigences de ces dernières années. Le message a encore été brouillé quand les pierres du Mozambique, un temps exclu à cause de la nationalisation des mines initiée par le président Mugabe, ont été réintégrées dans le RJC sans que rien ne change dans cette dictature ubuesque.

L'obligation éthique, nouvelle contrainte de sourcing

Ainsi, impossible de savoir d’où vient une lunette sertie. C'est tout simplement impossible. La structure de la filière diamant classe les pierres en fonction de leurs propriétés minérales, taille pureté et couleur. Pas de leur origine. Certaines marques essaient bien de faire émerger des offres tracées, telles la compagnie minière Alrosa. Pour convaincre la clientèle américaine, elle met en avant sa filière mine to market, et se vante de ne produire que des diamants russes... un pays dont le positionnement éthique est difficilement défendable et sous le coup de sanctions internationales. Ainsi, à force d'opacité, la filière des matières précieuses se mord sans cesse la queue. Alors plus que jamais, les diamants de synthèse représentent une alternative neutre, propre. Et ce malgré une image inexistante ou peu favorable, le cœur ayant ses raisons que la raison ignore.

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