Le marché américain des montres

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Longtemps premier marché d'exportation pour les montres suisses, lesEtats-Unis se retrouvent à égalité avec Hong Kong. Et leur propreindustrie horlogère ne cesse de perdre du terrain
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Malgré le ralentissement économique, les manufactures horlogères continuent
à se disputer les meilleurs emplacements des Madison Avenue et autres Beverly Hills, comme ici Cartier sur la Fifth Avenue à New York City.

L'immensité nord-américaine ne doit pas faire illusion. Même s'ils restent, avec Hong Kong, le premier pays d'exportation des montres suisses (15,3% de parts de marché en valeur), les Etats-Unis voient leur position s'effriter depuis plusieurs années: ils pesaient encore pour 17,4% en 2005. En 2006-2008, alors que le marché mondial de l'horlogerie progressait de 35,7% en valeur, les Etats-Unis n'affichaient que 23,4% de croissance en valeur et tout juste 10,2% en volume (contre 15,7% pour l'ensemble du monde). Des chiffres qui montrent que le marché américain n'est plus ce qu'il était. D'autant qu'il faut les rapporter aux résultats de zones économiques comparables. Les pays de l'Union européenne importent ainsi à peu près trois fois plus de montres suisses que les Etats- Unis (2,5 millions en 2007, contre 950 000 outre-Atlantique). La dynamique américaine est aujourd'hui déportée vers le sud du Rio Grande, avec une Amérique latine qui compense désormais l'érosion des ventes aux Etats-Unis (385 000 montres Swiss Made, soit 60,1% de progression en valeur pour la période 2006-2008).
Les amateurs US restent cependant les meilleurs clients de marques comme Rolex – le must absolu de l'Atlantique au Pacifique – ou TAG Heuer. Mais aussi de maisons suisses plus modestes, comme Raymond Weil ou surtout Victorinox, qui a récemment réussi sur ce marché une percée inattendue. On peut estimer que 40% de la production horlogère de Victorinox est écoulée aux Etats-Unis.Un nouvel univers entre Rolex et Timex
Longtemps, on a pu dire que le marché américain se limitait à deux marques: Rolex au sommet, Timex à la base et à peu près rien au milieu. C'est nettement moins vrai avec l'apparition d'une nouvelle classe de millionnaires et de milliardaires locaux, plus ouverts sur le monde qu'autrefois et donc plus sensibles aux effets de mode et aux tendances nées dans les grandes places horlogères occidentales. Les informations disponibles instantanément sur Internet ont parachevé cet alignement des goûts. Les watch lovers américains sont désormais aussi «pointus» et aussi «segmentés » que leurs homologues européens. Ils discutent avec passion des mêmes concepts watches et des mêmes marques. Ce qui a obligé ces dernières à étoffer leurs réseaux sur place.
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Montre chronographe «Infantry Vintage». C'est précisément cette
image de «couteau suisse» associée à la réputation répandue mais farfelue
d'être la marque officielle de l'armée suisse, qui vaut à victorinox
son immense succès aux USA.
C'est aux Etats-Unis, dans le Caesar's Palace de Las Vegas, que Tourneau a ouvert la plus vaste boutique horlogère du monde (1630 mètres carrés pour une centaine de marques). Mais toutes les manufactures suisses se disputent les meilleurs emplacements de Madison Avenue (New York) ou de Beverley Hills (Los Angeles), sans oublier les hottest spots de Boca Raton (Floride) ou des neiges d'Aspen. La dispersion géographique des amateurs locaux a poussé à la multiplication des sites marchands on-line, qui affichent des taux de croissance impressionnants: 100% par an pour l'espace horloger d'Amazon, y compris pour les montres joaillerie. Il n'est plus rare de voir des pièces à 100 000 dollars se vendre sur Internet! La plupart des analystes s'accordent à penser que l'actuelle déconfiture financière américaine n'affectera pas les marques de haute horlogerie. Des montres vendues aux ultra net worth, ces superriches au revenu considéré comme crisis proof («à l'épreuve des crises »). La récession pourrait cependant frapper les Suisses campés sur le segment du luxe accessible. Toutes se posent la question: le ralentissement en cours est-il une simple pause ou l'amorce d'une descente aux enfers?Grégory PonsTribune des Arts - No362 - Juin 2008