La DB28 à l'essai

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Radicale dans son interprétation des codes horlogers, la DB28 intrigue qui l'observe. Sa beauté étrange et sa technique extrême plaident pour une montre hors du commun.
WORLDTEMPUS – 27 avril 2011

Louis Nardin

«Le beau est toujours bizarre», écrivait Baudelaire en pensant à la note d'étrangeté présente dans toute œuvre réalisée avec sensibilité. La DB28 de De Bethune, nouveauté de cette année, provoque justement un sentiment particulier lorsqu'on la passe au poignet, ceci dans le cadre d'un test au porté – lire également à ce propos le compte rendu en anglais d'Elizabeth Doerr. A la fois rétrofuturiste et conceptuelle, sa personnalité envoûtante l'impose comme une montre hors du commun. Hors toute considération technique, la DB28 mélange quantité d'allusions à l'horlogerie ancienne comme d'idées révolutionnaires. Couleurs, textures, formes ou encore lignes et courbes, chaque détail fait sens et porte en lui quelque chose d'inédit. Même le bracelet, en double alligator tanné façon ganterie pour plus de souplesse, se distingue puisqu'il est à la fois large et sans relief, associant du coup la montre à un bandeau enveloppant le poignet plus qu'à l'habituel boîtier maintenu en place par des attaches en cuir.De Bethune_330412_0

Technique de pointe

En toute discrétion puisque ses dirigeants sont peu versés dans le battage promotionnel, De Bethune a habitué les passionnés d'horlogerie à une culture de l'audace associant toujours technique et esthétique. Pour Denis Flageollet, horloger-inventeur, et David Zanetta, designer, le but ultime semble consister à exploiter les découvertes technologiques les plus pointues tant pour améliorer la chronométrie des calibres que pour embellir de manière inédite leurs créations. Seul constat: leur travail reste toujours connecté aux origines de l'art horloger traditionnel. Et si de nombreuses marques prétendent elles aussi jouer sur les deux tableaux, De Bethune se distingue par un style tranchant et inimitable, ainsi que par une capacité d'innovation prodigieuse pour une entreprise de cette envergure. La manufacture compte en effet 45 employés et réalise à l'interne tous ses composants du calibre à l'habillage exception faite des spiraux métalliques, systématiquement modifiés, des rubis, des glaces, des vis et des bracelets. La cadence avec laquelle la marque avait l'habitude de présenter des nouveautés n'avait d'ailleurs pas manqué d'interloquer acheteurs et professionnels. L'arrivée de Pierre Jacques en tant que CEO de la marque au début de l'année devrait participer à structurer le catalogue et le rythme de présentation des nouveautés.De Bethune_330412_1
Delta de titane

Présentée en janvier, la DB28 s'inspire fortement de la DBS dévoilée en 2005. Dépourvue de cadran, elle présente au centre deux ponts superposés en forme de delta. Le plus petit, en titane, est travaillé poli-miroir. Appliquée à cette matière, cette finition présente un éclat à la fois brillant et légèrement irisé. Elle illustre l'esprit De Bethune car le titane pose de sérieux défis techniques pour le rendre aussi luisant.
Observé avec attention, le visage de la DB28 foisonne d'éléments aussi inattendus que ce pont. Les deux bras du système triple-par-chute en sont. Tout comme le rehaut incrusté de microsphères indiquant les segments des 5 minutes. Ou encore la forme du boîtier avec son encoche carrée à 6h pour dégager assez d'espace à la phase de lune tridimensionnelle. De conception propre à De Bethune, elle est parfaitement bleuie à la flamme sur une moitié et se décale d'un jour en 122 ans. Les brancards mobiles maintenant le boîtier sont eux aussi innovants autant qu'ils apportent un confort d'utilisation très appréciable puisqu'ils épousent la courbe du poignet. Quant à la boîte, elle pourrait servir telle quelle pour une montre de poche. L'effet le plus sidérant étant ici qu'elle forme, avec les brancards, une montre-bracelet tout-à-faire homogène. Goûts et couleurs ne se discutant pas, l'or jaune dans lequel elle a été taillée, bien que sa couleur miel la rende appétissante, troublait un ensemble versé sinon dans des teintes exclusivement froides.De Bethune_330412_2
Culture des brevets

La motorisation de la DB28 offre un aperçu éloquent des capacités d'innovation de la marque. Depuis 2004, De Bethune dépose régulièrement des brevets liés à l'échappement. Inventeur, par exemple, d'une nouvelle courbe terminale, Denis Flageollet s'est intéressé parmi les premiers au silicium. Il a également travaillé sur une série de balanciers à masselottes dont certains thermocompensés. Le balancier du Calibre 2115 qui équipe la DB28 présente un centre plein. Présenté en 2008, le balancier annulaire en silicium se compose en effet d'un disque en silicium bordé d'un fin cerclage métallique. Visuellement, l'effet change la perception que l'on peut avoir du fonctionnement d'un calibre puisque les allers-retours du balancier ne sont plus observables. Seules restent les pulsations du ressort-spiral, en silicium-paladium avec courbe terminale plate, évoquant dans un mimétisme surprenant les battements d'un cœur.
Indiquant les heures, les minutes, la phase de la lune et doté d'un indicateur de réserve de marche ainsi que d'un indicateur de performance, le calibre 2115 dispose d'un double barillet autorégulateur. Son remontage, manuel, s'effectue via à la couronne à 12h dont le dévissage et la remise en place méritent de la force dans les doigts.


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Harpon visuel

Mais la DB28 jouit d'autres qualités, plus subtiles. Son caractère fort fait crépiter les réactions. Et paradoxalement, son design avant-gardiste dérange certains geeks horlogers actuels, fans de mode et fins nez en tendances. A contrario, il harponne à la seconde le regard sûr de l'homme d'âge mûr pour qui les montres rythment le quotidien qu'il soit CEO, collectionneur ou juste curieux d'horlogerie. Ces faits laissent donc penser que, comme pour les vins complexes, le goût s'affine avec l'âge, percevant différemment et souvent plus finement le sens des choses. Pourtant, la règle n'est de loin pas fixe. La DB28 décoche ses flèches attractives sans restrictions, l'effet dépend du récepteur.

Pour un prix de 87'000 francs suisses avec les taxes, la DB28 apporte ainsi du rêve et de la substance horlogère, le mélange indispensable attendu de tout vrai produit horloger. Incarnant le volet le plus extrême de l'esprit De Bethune, elle brille d'un dernier avantage précieux. En effet, la DB28 ne peut être comparée à aucune autre montre du marché. En ce sens, elle est fondamentalement unique. Ne serait-ce pas aussi l'une des caractéristiques du luxe le plus fin?

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