L'équation du temps

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L'équation du temps marchante est l'une des complications les plus rares de toute l'horlogerie. Cette rareté a peut-être amené certains autres qui ont tenté de la maitriser à emprunter une direction erronée.


Lettres du Brassus N°09

Jeffrey S. Kingston

 

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L'équation du temps © Blancpain

 

Blancpain fait oeuvre de précurseur et figure aux avant-postes de l'industrie horlogère dans le développement d'une complication appelée équation du temps marchante. Et elle peut s'en prévaloir à un double titre, car elle est non seulement la première manufacture à avoir intégré cette complication à une montre-bracelet, mais les autres marques qui ont essayé d'égaler ce record ont trébuché. Dans quelle mesure ? Jugez-en : les efforts déployés par ces opérateurs ont donné naissance à des montres qui illustrent la progression de l'équation du temps à rebours. Une erreur de 180 degrés !

J'ai sous les yeux les photographies officielles diffusées par deux marques horlogères qui ont tenté de réaliser une équation du temps marchante. Dans les deux cas, ces documents montrent le temps solaire en avance sur le temps civil dans des mois où l'inverse est vrai. Faites-moi confiance à ce propos. J'ai vérifié. Les sourcils froncés par la concentration, je suis arrivé à la conclusion que ces constructeurs bien connus se sont tout bonnement fourvoyés. Et afin que vous puissiez respirer à votre aise et n'ayez pas à attendre la fin de cet exposé avec anxiété, sachez que j'ai arqué mes sourcils une seconde fois et me suis assuré que le travail de pionnier réalisé par Blancpain était parti du bon pied. Comment une telle erreur a-t-elle pu se produire ? Comment est-il possible que d'autres présumés responsables et horlogers chevronnés commettent une bévue de cette envergure ? En un mot, c'est parce que l'équation du temps est… déconcertante. En d'autres termes, elle incarne une question épineuse. Et il est normal de froncer les sourcils à chaque fois qu'elle devient le thème de nos réflexions. Si vous désirez vous rasséréner entièrement, songez que l'équation du temps est semblable à ces problèmes arithmétiques qui ont donné des sueurs froides à des générations d'écoliers : « Un peintre met trois jours pour peindre une maison alors que son confrère aurait besoin de quatre journées pour parvenir au même résultat. Combien de temps leur faudra-t-il pour achever cette tâche s'ils travaillent de concert ? » Le concept fondamental de l'équation ne présente pas de difficultés insurmontables en soi.

 

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L'équation du temps © Blancpain

 

L'équation du temps est une manière d'illustrer la différence entre l'heure exprimée par rapport à ce qu'il est convenu d'appeler le « temps solaire » et l'heure exprimée par rapport à ce qu'il est convenu d'appeler le « temps civil ». Cependant, alors que la notion de temps civil présuppose que chaque jour possède une longueur exacte de 24 heures qui ne varie donc pas au cours de l'année, le temps solaire est calculé à partir de la durée réelle du jour (c'est-à-dire le nombre d'heures qui s'écoulent entre le moment où le soleil se trouve dans une position donnée dans le ciel et le moment où il se retrouve dans la même position le jour suivant ou, pour apporter une précision complémentaire à notre terminologie,la quantité de temps qui doit s'écouler pour qu'un point situé sur l'équateur effectue une rotation de 360 degrés en prenant le soleil comme référence1).

Comme nous le savons tous intuitivement, la longueur du jour varie tout au long de l'année et il est possible de considérer que cette variation est provoquée par les imperfections de l'orbite terrestre. En effet, cette orbite n'est pas ronde, mais elliptique et, pour compliquer encore un peu plus les choses, l'axe de rotation de la Terre est incliné de 23 degrés par rapport au plan de l'orbite. Aussi, la durée réelle d'un jour n'est pas de 24 heures, ainsi que tout le monde ou presque en est convaincu. Elle varie approximativement2 de 15 minutes, qui s'ajoutent ou se soustraient à la longueur convenue de 24 heures, selon la période de l'année. De ce fait, la longueur exacte de 24 heures que nous enjoignons à nos montres d'afficher avec une telle précision, n'est pas exactement de 24 heures à l'exception de quatre jours par année : le 15 avril, le 14 juin, le 1er septembre et le 24 décembre. Le jour exact de 24 heures mesuré par la plupart des garde-temps est connu sous la dénomination de « temps solaire moyen » ou, plus communément, sous celle de « temps civil », car il représente une convention commode et un bon compromis de ces variations. L'écart entre le temps solaire et le temps civil est l'équation du temps. Elle est fréquemment reproduite par une courbe appelée « analemne » qui illustre graphiquement l'amplitude de l'équation du temps tout au long de l'année.

1 Dans un souci de précision, il convient de spécifier ici le point de référence particulier utilisé pour déterminer la quantité de temps qui s'écoule pendant que la Terre effectue une rotation de 360 degrés. Le temps solaire vrai utilise le soleil comme point de référence alors que le temps sidéral recourt à un point fixe dans l'espace (une étoile ou une galaxie éloignée, à votre choix, conviennent à cet effet). Le jour sidéral est plus court de 8,5 minutes que le jour solaire. De ce fait, une année compte 366 jours sidéraux.
2 Je vous l'accorde ! Comme nous parlons ici d'effets physiques, les approximations ne sont pas de mise – la variation réelle oscille entre moins 16 minutes 23 secondes et plus 14 minutes 22 secondes. Est-ce mieux ainsi ?

 

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L'équation du temps © Blancpain

 

L'observateur remarque rapidement que le plus grand écart positif se produit en février alors que le plus grand écart négatif intervient en novembre. Les quatre jours pendant lesquels le temps civil et le temps solaire sont identiques figurent sur l'axe du zéro.

L'aspect déconcertant de la question – au point qu'il a fait trébucher les horlogers que nous venons de mentionner – est la relation entre le temps solaire et le temps civil dans un jour donné. Prenons par exemple le 12 février. À cette date, le jour solaire dure 14 minutes de plus que le jour civil. Aucun problème jusque-là. Toutefois, si l'on veut réaliser une montre qui donne simultanément le temps solaire et le temps civil, comment conviendra-t-il de l'afficher ? Ou, en termes pratiques, « si l'heure civile indique midi, quelle sera l'heure solaire ? » En arquant encore davantage les sourcils, j'ai trouvé une façon aisée de répondre à cette interrogation.

Comme le jour solaire est plus long que le jour civil, il semble raisonnable de supposer que le temps solaire retarde de 14 minutes par rapport au temps civil. Tout cela est très logique. Mais que se passe-t-il au moment de réduire cette relation à une équation, « l'équation de l'équation » ? Boum, collision entre deux trains ! L'équation du temps s'exprime sous deux formes opposées. Même si, pour toute date donnée, il est simple de déterminer si le jour solaire est plus long que le jour civil, ou inversement, et tout aussi évident de constater si le temps solaire avance ou retarde par rapport au temps civil, la valeur de l'équation du temps dépend de la manière dont elle est mesurée, à savoir si le temps civil est mesuré par rapport au temps solaire ou si le temps solaire est mesuré par rapport au temps civil.

 

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Dans le cas où le temps civil est mesuré par rapport au temps solaire, la formule est : Équation du temps = temps solaire − temps civil. En revanche, si le temps solaire est mesuré par rapport au temps civil, la formule est : Équation du temps = temps civil − temps solaire. C'est là que le bât blesse. En fonction de la référence choisie, l'équation du temps aura exactement la valeur opposée pour un jour donné. Reprenons l'exemple du 12 février : selon la première formule, l'équation du temps sera de moins 14 minutes alors que, selon la seconde, elle sera de plus 14 minutes. Néanmoins, dans les deux cas, le jour solaire sera plus long que le jour civil et le temps solaire retardera de 14 minutes par rapport au temps civil. Vous me suivez encore ?

L'équation du temps a toujours constitué l'une des complications les plus rares sur une montre-bracelet. Comme elle illustre une valeur qui varie tout au long de l'année, elle est uniquement apparue, à d'infimes exceptions près, sur des garde-temps comportant un quantième perpétuel. Il s'agit là d'une association naturelle car elle réunit deux complications vouées à représenter des variations annuelles – l'équation du temps, qui rend compte des changements dans la longueur du jour solaire, et le calendrier perpétuel, qui prend en considération la durée différente des mois. Ainsi que les connaisseurs le savent, elles peuvent toutes les deux se prévaloir de figurer au rang des grandes complications dans la tradition horlogère. Aussi est-il pertinent de songer à l'équation du temps comme à une grande complication, qui vient s'ajouter à une autre grande complication.

Jusqu'en 2004, tous les modèles de montres-bracelets dotés de cette complication n'offraient qu'un seul mode d'expression de l'équation du temps, symbolisé par une indication « + » ou « − ». En d'autres termes, elles affichaient des valeurs telles que « + 14 » ou « − 10 », sans spécifier si la conversion devrait être effectuée depuis le temps civil vers le temps solaire ou vice-versa. Le soin de trancher ce détail essentiel était laissé à la sagacité de l'utilisateur.

Tout a changé lorsque Blancpain a présenté l'Équation du Temps Marchante Le Brassus lors de la Foire de Bâle en 2004.

 

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L'équation du temps © Blancpain

 

Pour la première fois dans l'histoire de l'horlogerie, une montre n'offrait pas seulement une indication de l'équation du temps avec un registre plus ou moins, mais possédait un affichage de l'équation marchante du temps sur lequel une aiguille des minutes indiquait directement le temps solaire. Enfin, le propriétaire n'était plus confronté à la difficulté d'interpréter une valeur sibylline en se demandant si elle se fondait sur une conversion du temps civil en temps solaire ou du temps solaire en temps civil. En lieu et place, l'Équation du Temps Marchante de Blancpain, une réalisation d'avant-garde, disposait de deux aiguilles des minutes, l'une pour le temps civil et l'autre pour le temps solaire (cette dernière arborant un soleil) en sorte de proposer la lecture simultanée des deux indications.

Prenons par exemple la date du 22 septembre illustrée par le calendrier perpétuel de la Villeret Équation du Temps Marchante dans sa version en or rouge. À cette date, l'aiguille de l'équation du temps marchante indique que le temps solaire avance approximativement de 8 minutes par rapport au temps civil et l'échelle de l'équation à 2 heures affiche + 8 minutes.

Maintenant que nous avons établi que la complication de l'Équation du Temps Marchante de Blancpain peut être consultée aisément – les sourcils non froncés, l'utilisateur est heureux et détendu – intéressons-nous à la manière dont fonctionne le mécanisme de l'équation marchante. À première vue, il ne semble pas si complexe. Elle requiert uniquement l'intégration au mouvement d'une came ellipsoïdale qui reproduit la forme de l'analemne et effectue une rotation par année. Un palpeur se déplace sur sa périphérie (ou sera programmé) en fonction de la longueur des jours solaires reproduite par le contour de la came. Ce dispositif classique est utilisé depuis plus de 200 ans pour les indications habituelles, moins compliquées, de l'équation du temps. Pour afficher l'équation du temps marchante, il suffit de prévoir une aiguille des minutes solaires qui évolue à la fois comme une aiguille conventionnelle des minutes et comme une aiguille de l'équation du temps. Fort bien. Mais comment y parvenez-vous ? Comment, en effet, construire un mécanisme pour l'aiguille des minutes solaires qui doit, d'une part, être entraîné de la même manière que l'aiguille des minutes du temps civil (soit par le rouage de l'aiguille des minutes) et, d'autre part, commandé par une came en sorte de procéder à l'addition ou à la soustraction du nombre de minutes requises pour chaque jour de l'année ? Pour obtenir ce résultat, il convient de disposer de deux sources de rotation distinctes pour l'aiguille marchante solaire et aucune ne doit pouvoir interférer avec l'autre (dans ce cas, la montre s'arrêterait sur-le-champ).

Certains composants parlent d'eux-mêmes. La came ellipsoïdale est facilement identifiable à l'instar du palpeur qui se déplace sur son pourtour. Ce dispositif entraîne deux mécanismes distincts : le premier pour l'affichage à 2 heures, avec l'indication +/−, et l'autre pour l'aiguille marchante. Le secret réside dans l'engrenage différentiel intégré au rouage de l'aiguille marchante. Il ne s'agit pas d'un simple train de rouages mais d'un mécanisme différentiel à part entière qui comprend de petits engrenages satellites. Ce composant est entraîné par deux sources différentes – l'une fait tourner le rouage qui entraîne les satellites (le train d'engrenages de l'aiguille marchante) alors que l'autre entraîne le différentiel externe (le train d'engrenages des minutes de la montre). Les satellites peuvent se mouvoir librement vers l'avant ou l'arrière sans perturber la progression de l'aiguille des minutes et de son train d'engrenages.

Ce mouvement, qui a représenté une première horlogère en 2004 avec une édition limitée Le Brassus immédiatement épuisée, se retrouve aujourd'hui dans la nouvelle collection Villeret. À l'instar de son illustre devancière, l'Équation du Temps Marchante Villeret se situe au plus haut degré de complication horlogère car elle offre un quantième perpétuel complet, un affichage rétrograde des phases de la lune et deux indications pour l'équation du temps, la première sur échelle « +/− » et la seconde par une aiguille pour les minutes solaires. Comme il sied à un garde-temps qui illustre un achèvement horloger aussi exceptionnel, la nouvelle Villeret sera uniquement réalisée en métaux précieux, dans une exécution en platine, limitée à 50 exemplaires, ou en or rouge. Dans les deux cas, le diamètre du boîtier sera de 42 millimètres.

 

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L'équation du temps © Blancpain

 

Pour souligner l'exclusivité de ce garde-temps, le cadran bombé est confectionné en émail grand feu. Il possède en outre une caractéristique unique, la présence d'un hublot à 6 heures, qui donne un aperçu passionnant sur la came de l'équation du temps et le doigt qui se déplace sur son profil. À l'évidence, ce raffinement peut être envisagé comme une ouverture qui sert à dévoiler au regard certains éléments complexes du mouvement. Mais, sa signification est plus profonde encore. La came de l'équation du temps est aussi une illustration de notre univers physique. Précisément calculée, sa forme exprime les relations entre la Terre, son orbite autour du soleil, et l'inclinaison de son axe de rotation. De ce fait, il n'est nullement exagéré de considérer ce hublot comme un sésame pour contempler une partie de notre système solaire.

Depuis la présentation de la première montre à équation du temps marchante, Blancpain a doté différents modèles de ses correcteurs sous cornes brevetés. Alors que certaines marques horlogères qui proposent des affichages complexes pour les calendriers et les phases de la lune n'ont d'autre choix que d'insérer des correcteurs dans de petites rainures sur le flanc de boîtier afin de permettre le réglage des indications, les correcteurs sous cornes de Blancpain sont situés dans un emplacement où ils ne constituent pas une gêne visuelle. Cette disposition offre non seulement à la montre un profil d'une pureté absolue, exempt de ces protubérances peu flatteuses, mais accorde au propriétaire la délicieuse liberté de procéder aux ajustages requis à la pointe du doigt plutôt que de devoir se munir du stylet exigé par les correcteurs habituels. La nouvelle Équation du Temps Marchante Villeret présente aussi cette innovation exclusive à Blancpain.

La gravure demeure l'un des métiers d'art les plus rares en horlogerie. Alors qu'une pratique commune à de nombreuses marques consiste à confier ces travaux délicats à quelques artisans indépendants externes, Blancpain est l'une des seules manufactures à conserver et à nourrir cet art entre ses murs. Le vaste savoir-faire spécifique à Blancpain dans ce domaine apparaît de superbe manière sur la nouvelle Équation du Temps Marchante de la ligne Villeret. Les ponts apparents du mouvement sont minutieusement gravés à la main dans l'un des motifs suivants : Universalis, qui illustre les constellations, et Cartographia, qui évoque les anciennes cartes de navigation. Chacun d'eux se retrouve également sur les rotors de remontage dont la fine décoration manuelle reprend les thèmes qui figurent sur les ponts. Pour réaliser ces gravures, les artisans de Blancpain travaillent à leur établi en déposant le composant sous un microscope. Comme leur labeur se déroule dans la sphère de l'infiniment petit, ils ne sont soumis à une aucune contrainte temporelle. La gravure sur métal n'autorise pas l'erreur. Chaque geste exécuté au burin ou au poinçon doit être précis et parfait. Lorsqu'un peintre n'est pas satisfait des dernières touches apportées à l'oeuvre en cours, il peut recouvrir les éléments qui lui déplaisent. Si un graveur commet une erreur, la pièce sera envoyée au rebut et l'ouvrage recommencé sur un nouveau composant. Le motif Universalis est réservé aux modèles en or rouge alors que le dessin Cartographia ornera les versions en platine.

Enfin, la dernière finition est représentée par le rotor de remontage, visible à travers le fond transparent. Confectionné en or et doté d'ouvertures qui laissent apparaître le mot « Blancpain » gravé sur le pont inférieur, il est décoré à la main et orné d'un motif en soleil.

 

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